lundi 31 janvier 2011

Pastel Fauve, par Carmen Bramly : Retrouver ses quinze ans

[JC Lattès, août 2010]

C’est un premier roman précoce que je vais vous présenter aujourd'hui : son auteur, Carmen Bramly, est âgée de 15 ans seulement.

Dans ce roman, elle nous présente Paloma, une jeune fille de 14 ans au caractère bien trempé, fan et amoureuse de Pete Doherty. Le récit se déroule sur le temps d’une soirée : celle du réveillon du 31 décembre, qu’elle passe sur l’île de son enfance avec Pierre, âgé de 16 ans. Ils se connaissent depuis tout petits, et ont toujours été très proches. Enfants, il a été son protecteur, son modèle. A présent, cette proximité est devenue ambiguë.

Durant cette soirée, Paloma et Pierre se cherchent, se désirent, se fuient. Le jeu de séduction vire à l’affrontement, à la guerre des nerfs. Tout l’enjeu du roman consiste à découvrir s’ils baisseront les armes et s’avoueront leur amour, ou s’ils auront trop d’orgueil pour cela.

Au premier abord, la jeunesse de l’auteur se ressent dans l’écriture : des phrases simples, certains éléments descriptifs qui manquent de naturels, ressemblant à du « remplissage ». Puis, le roman gagne en intensité et on oublie la forme : les personnages ont des caractères forts et complexes, et leur affrontement psychologique se joue dans des dialogues très bien écrits. On se laisse finalement emporter.

Les personnages ont les préoccupations de jeunes de leur âge : ils envisagent leur avenir, se posent des questions sur le sens de la vie. Ils ont chacun leur stratégie pour affronter leurs peurs : Pierre critique tout, Paloma se compose un rôle sur mesure, une carapace. Le thème de la « première fois » est également abordé.

Je vous conseille donc de le lire, pour passer un moment agréable devant leurs joutes verbales et se rappeler qu’un jour vous aussi vous avez eu 15 ans…

Note : 3,5/5 
Stellabloggeuse

lundi 24 janvier 2011

Daddy est mort, retour à Sarcelles, par Insa Sané : L’amour a-t-il un sens au milieu du bitume ?

[Editions Sarbacane, novembre 2010]

Lorsque j’ai eu en mains ce livre, le dernier-né d’Insa Sané, auteur phare de la collection eXprim, j’avoue avoir éprouvé quelques réticences : voilà un genre d’histoire dont je ne suis pas coutumière, et que je n’étais pas certaine d’apprécier. Je craignais en l’ouvrant de découvrir une littérature « ghetto », un récit caricatural empli de revendications. Bref, il a traîné un petit moment sur mes étagères, mais j’ai fini par l’ouvrir…sans regret !

Ce roman prend place dans une série de quatre livres, qui ont pour théâtre la banlieue parisienne. Ils se lisent indépendamment les uns des autres, mais se rejoignent en plusieurs points. Dans « Daddy est mort », les évènements se déroulent en 1995. Daddy, jeune sarcellois, est sur le point d’être père. Il ressent alors le besoin de connaître ses propres origines, l’identité de son père qui lui est restée inconnue. Il apprend la vérité…et le paie de sa vie.

Dans ce livre, nous suivons de nombreux personnages. Tonton Black Jacket, dernière recrue de la brigade des stups’, enquête sur la mort de Daddy. Djiraël, le meilleur ami de Daddy, et son cousin Youba recherchent de leur côté. Eléonore, la vieille prostituée, cherche à échapper au même sort que son fils. Emma, sa fiancée, le pleure de tout son cœur. Et pendant ce temps, la mort de Daddy déclenche une véritable guerre entre Sarcelles et le XIXe arrondissement de Paris…

Tous ces personnages se croisent, avec leur vision bien particulière sur les évènements, selon leur degré de relation avec Daddy. Ce roman restitue toute la violence qui anime la banlieue, le manque de perspectives d’avenir, l’ennui. Mais ne nous y trompons pas, le plus important dans ce roman, c’est l’amour. Chacun des protagonistes le croise, chacun le vit à sa façon. Certains savent le saisir et s’y accrocher, d’autres laissent cet amour les détruire.

L’écriture d’Insa Sané est à l’image de ce couple violence/amour, tantôt rude, tantôt poétique. Certaines petites phrases marquantes et métaphores reviennent de façon régulière dans le récit, comme un refrain, donnant le rythme. Cette manière d’écrire surprend de prime abord, puis on se laisse prendre par la mélopée, on suit le conteur.

Alors, je vous invite à faire cette expérience originale, et à lire ce récit où se mêlent la lucidité et les rêves de ces jeunes hommes.

Note : 3,5/5

Stellabloggeuse

A voir aussi :
-Ma chronique sur Sarcelles-Dakar, le premier roman de l'auteur
-Le récit d'une rencontre avec Insa Sané à Grenoble
-D'autres chroniques : sur BatifolireTrollire

lundi 17 janvier 2011

Auteur Academy, par Pierre Chavagné : l’irruption de la télé-réalité dans le monde littéraire

[Grasset, février 2010]

Aujourd'hui, je vais vous parler d’un roman qui est un véritable ovni, qui n’a pas d’équivalent à ma connaissance. Dans ce livre, Pierre Chavagné créé une émission de télévision nommée Auteur Academy. Le titre est évocateur : il s’agit d’une Star Academy pour les auteurs. Pendant 12 mois, 12 auteurs seront enfermés dans un monastère, sur une île grecque. Sous l’œil des caméras, ils suivront des cours pour améliorer leur écriture et produiront des textes. Un auteur sera éliminé chaque mois, et le vainqueur verra son livre, écrit pendant l’émission, publié par une grande maison d’édition.

Pierre, le narrateur, choisit pour sujet de son livre son aventure dans cette émission. Il décrit les cours, ses camarades, ses amourettes. Il évoque Bernard Paix, qui vient leur apprendre à répondre aux interviews, Jeandeau, Michel Hache. Il raconte les tricheries qui sévissent sur l’île : des auteurs qui écrivent pour d’autres, du temps d’intimité hors caméra acheté aux techniciens, le rôle et les mensonges de certains participants.

Au final, ce livre est en tout point similaire à une émission de téléréalité : les personnages sont caricaturaux, tout semble faux et scénarisé, on s’ennuie devant des scènes inutiles, et le lecteur/téléspectateur est considéré comme un idiot. L’auteur réussit donc parfaitement son parallèle entre ces deux mondes. Seulement, j’ai fini par me poser une question : quel intérêt un tel exercice a-t-il ? Car je dois bien avouer que cette lecture m’a ennuyée.

Mais en réfléchissant, j’ai tout de même trouvé quelques raisons de finir ce roman. Tout d’abord, ce livre soulève la question du poids croissant des médias dans le monde littéraire. Il nous ramène à l’éternel dilemme que connaît l’édition, entre la sphère artistique et la sphère marchande. Il soulève une seconde question, tout aussi intéressante : peut-on apprendre à écrire ? Le talent littéraire est-il inné ou acquis ?

Enfin, ce livre a le mérite d’être très (trop ?) original, et il faut reconnaître que Pierre Chavagné a eu un certain courage pour dénoncer les travers actuels du monde littéraire dans son premier roman. Mais je dois avouer que je ne lui ai pas pardonné le mépris avec lequel il considère les lecteurs.

En bref, c’est un livre à lire pour l’expérience, des personnes autour de moi l'ont aimé. Et vous qu'en penserez-vous ?

Note : 2/5
Stellabloggeuse

lundi 10 janvier 2011

Le Goût de la Mangue, par Catherine Missonnier : une vie d’adolescente au temps de la décolonisation


Ce livre de Catherine Missonnier, je l’ai découvert il y a quelques années, à l’occasion d’un prix littéraire de lycéens. A l’époque, il m’avait tellement plu que j’avais entrepris de le recopier à l’ordinateur ! Aujourd’hui, je le lis toujours avec plaisir.

« Le Goût de la Mangue », c’est l’histoire d’Anna, une jeune fille de 15 ans. L’intrigue se déroule en 1956, à Madagascar, qui est alors une colonie française. Anna vit sur l’île depuis quelques années avec sa famille, car son père a été nommé fonctionnaire à Tamatave. Anna va au Lycée à Tananarive, à plusieurs heures de voyage de ses parents. Là-bas, elle est hébergée par une famille de pasteurs, les Bastien.

Anna a des préoccupations d’une jeune fille de son âge. Au lycée, elle a deux très bonnes amies, avec lesquelles elle écrit une pièce de théâtre pour la fête de fin d’année de l’établissement. Elle s’intéresse aux garçons, et cherche à leur plaire. Mais la (trop ?) bonne éducation des Bastien et leur surveillance lui pèse. Enfin, l’île de Madagascar est un personnage à part entière dans ce roman : l’île fascine Anna, qui aimerait en comprendre les mystères. Elle voudrait en savoir plus sur les malgaches de sa classe, qui ne se laissent pas approcher.

Un jour, Anna rencontre Léon, un jeune malgache plus ouvert que les autres, qui accepte de lui faire partager sa culture. Contre toute attente, ils se comprennent parfaitement et tombent amoureux. Mais leurs différences et le cours de l’Histoire les rattrapent….

Le « Goût de la Mangue » est un bon roman, qui traite en douceur le thème de la colonisation et des différences culturelles. Le personnage d’Anna est attachant, et l’histoire d’amour est belle. Une seule chose m’a terriblement frustrée : la fin ! Mais peut-être suis-je un peu trop midinette ? A vous de le lire et de vous en faire une opinion !

Note : 4,5/5
Stellabloggeuse

jeudi 6 janvier 2011

La Mort j’adore (saison 3), par Alexis Brocas : quand une démone veut sauver le monde

[Editions Sarbacane, janvier 2011]


*Attention il s'agit du troisième tome d'une série, présence de spoilers sur les tomes précédents*

C’est avec beaucoup d’enthousiasme que je vais vous parler aujourd'hui du dernier-né de la collection eXprim’ : « La Mort j’adore, saison 3 ». Les histoires sur les créatures extraordinaires se multiplient ces derniers temps, et pourtant, celle-ci ne ressemble à aucune autre.

Tout d’abord, sachez qu’il n’est pas essentiel d’avoir lu les deux tomes (qu'on appelle ici des "saisons", car vous avez l'impression de regarder votre série préférée en les lisant!) précédents pour apprécier pleinement celui-ci. Si vous voulez vous en faire une idée, vous pouvez lire mes chroniques :


Rentrons maintenant dans le vif du sujet ! Clémence et sa goule (et meilleure amie) Elodie se sont installées en Californie, et commencent leur vie d’étudiante en Amérique. Clémence goûte avec délice à cette vie presque normale. Elle partage son temps entre ses études, son amie Elodie, et son petit ami Ronald, qu’elle téléporte régulièrement chez elle. Jusqu’au jour où l’archidémon Saustre vient lui proposer de lui donner à nouveau des cours.

Saustre lui apprend à voyager dans le temps. Il lui montre le futur qui attend la planète Terre dans 400 ans : la destruction de l’humanité. Et, selon son instructeur, seule elle, une démone, a le pouvoir de sauver l’humanité. Clémence a le choix : elle peut laisser courir le monde à sa perte, ou tenter de changer le futur. Clémence hésite, mais elle se lance malgré tout dans cette mission, qui l’entraîne dans des aventures plus improbables les unes que les autres. Donnera-t-elle un avenir à la planète Terre ?

C’est une lecture tout simplement jouissive : les deux personnages principaux sont démoniaques mais surtout diablement attachants, et c’est un bonheur de les voir jouer des tours aux humains. Entre les deux meilleures amies, c’est l’amour vache. Leurs caractères bien trempés et leurs pouvoirs bien particuliers donnent lieu à des scènes comiques et à des dialogues savoureux, par exemple lorsque Clémence donne un cours à Elodie : 

« Elo c’est moi qui donne les cours ici. Alors voilà le programme d’aujourd’hui : tu m’attrapes ce joli couteau de cuisine, tu te tranches le petit doigt, tu chantes Telephone en boucle, et on voit s’il se recolle ».

Alexis Brocas mène son récit avec talent. Des trois tomes, c'est celui dont l'écriture et la narration sont le plus maîtrisés. Tout comme Clémence se balade dans le temps, il nous raconte les évènements dans le désordre, laissant le puzzle se mettre lentement en place dans nos têtes. Nous avons déjà parlé de la drôlerie de son récit, ajoutons qu’il n’hésite pas à se moquer de lui-même. Il mêle le langage châtié des deux démones avec des passages narratifs très bien réalisés. Les références à la culture des années 90 et 2000 sont multiples. Enfin, il aborde un thème important : l’avenir que les humains réservent à la planète Terre par leur comportement. Additionnons à cela un brin de gore, un peu de philosophie, et une très jolie scène finale, et cela donne un roman à ne pas manquer !

Ah oui, une dernière chose : voir une héroïne qui a des défauts, ça fait du bien !

Note : 4/5 
Stellabloggeuse 

D’autres avis sur ce roman :
-Par Batifolire

mardi 4 janvier 2011

Bienvenue au club et Le cercle fermé, de Jonathan Coe : une plongée en Angleterre

[Gallimard, 2003 et 2007]

Intéressons-nous aujourd’hui aux romans de Jonathan Coe, un auteur anglais aux récits originaux, et à la construction recherchée. Plusieurs de ses livres valent le détour (comme « Testament à l’anglaise » ou « La maison du sommeil »), mais j’aimerais vous parler de « Bienvenue au club » et « Le Cercle fermé ».

L’intrigue  de « Bienvenue au club » se déroule dans l’Angleterre des années 1970. L’auteur nous décrit une petite bande de lycéens attachants, et leurs familles. Il y a Benjamin, le passionné de musique, son petit frère Paul, un manipulateur né, son meilleur ami Philip, féru des œuvres de Tolkien, la douce Claire, et Cicely, la coqueluche du lycée. Ce roman raconte les petites histoires individuelles de chacun, au lycée et en dehors, tout en dessinant par petites touches le contexte des années 1970, marquée par la puissance des syndicats et les attentats de l’IRA en Grande-Bretagne. Le roman se termine avec l’arrivée de Margaret Thatcher à la tête du gouvernement anglais.

« Le Cercle fermé » se déroule quant à lui dans les années 1990. Jonathan Coe nous présente désormais une Angleterre désenchantée par les nombreuses années de Thatchérisme. Ce roman commence par la rencontre entre la nièce de Benjamin et le fils de Claire et Philip. Ensemble, ils reconstituent l’histoire de leurs parents ces dernières années. Benjamin, séparé de Cicely, s’est marié avec une femme qu’il n’aime pas vraiment. Claire et Philip ont divorcé. Paul est désormais un homme politique en pleine ascension. Ce roman raconte la fin de leurs illusions, mais se termine néanmoins sur une note d’espoir.

Avec ces deux romans, Jonathan Coe réalise une fresque touchante. Les personnages sonnent juste, et leurs parcours illustrent bien le passage des Trente Glorieuses à une époque de crise. Mais ce que l’on en retient, c’est finalement une belle histoire d’amitié et de familles, et la manière dont les personnages se construisent un destin. Lisez leur histoire, et ils vous surprendront vous aussi !

Note : 5/5 
Stellabloggeuse

Du même auteur : La vie très privée de Mr Sim