mardi 29 octobre 2013

La fabrique du monde, de Sophie Van der Linden : un dramatique espoir


Jusqu’ici, Sophie Van der Linden était connue en tant que professionnelle de la littérature jeunesse. Avec « La fabrique du monde », elle nous a offert en cette Rentrée littéraire 2013 un premier roman dont le résumé et la couverture m’ont immédiatement attirée.

Résumé

Agée de 17 ans, Mei vit et travaille dans une usine chinoise. Elle a quitté ses parents et la campagne, tandis que son grand frère poursuit des études à l’université. Mei voulait découvrir la ville, mais elle n’en voit rien. Sa vie est collective, vouée à l’usine, rythmée par les commandes. Mei a l’habitude, mais un sentiment de révolte gronde en elle. Lors d’une parenthèse enchantée, à l’occasion du nouvel an, elle laisse libre cours à ses rêves et à ses émotions. Avec de terribles conséquences.

Le quotidien d’une usine

L’auteure nous plonge au cœur d’une usine textile en Chine. Mei travaille à l’atelier de couture et nous décrit la routine des commandes, la sensation du tissu sous les doigts. La surveillance impitoyable du contremaître, le chantage au salaire. La révolte, parfois, vite étouffée. Les accidents, parfois graves, lorsque l’on veut travailler trop vite ou que l’on est distrait. Les temps de pause sont quasiment inexistant et le bol de nouilles du midi presque avalé en marchant. Le soir, les filles essaient de se détendre malgré la fatigue, elles vont au marché nocturne, elles se sont la lecture. Prises dans ce système, les filles ont tendance à oublier leur individualité et à disparaître derrière les intérêts de l’usine.

Une parenthèse enchantée…

Pourtant, dans ce quotidien sans surprise, Mei se voit offrir une parenthèse enchantée. A l’occasion du Nouvel an, elle reste quasiment seule à l’usine, faute d’argent pour rendre visite à ses parents. Sa vie est alors bouleversée par des rêves obsédants, et par un rapprochement inattendu. J’ai beaucoup aimé cette parenthèse de douceur, presque trop belle, mais comme Mei, on a envie d’y croire. Le retour sur Terre n’en est que plus brutal, un terrible engrenage se met en place et le lecteur bascule avec Mei.

Les personnages

Mei est un personnage attachant, une jeune fille qui rêve de vivre sa vie et qui se sent prise au piège dans cette usine. Incapable de gagner assez d’argent pour partir ailleurs, ni de rentrer chez elle et d’avouer son échec. Contrairement à ses camarades, elle a des rêves d’une autre vie, des rêves d’amour transmis par sa grand-mère, qui venait d’un milieu aisé. J’ai eu du mal à comprendre son entêtement à la fin du roman, mais j’imagine qu’il est simplement trop dur pour elle de renoncer à ses rêves après les avoir touchés du doigt.

Quant à Cheng, il a deux facettes, l’une tendre, l’autre impitoyable. Déterminé à obtenir pour lui-même une bonne situation, il n’est absolument pas prêt à prendre de risque pour les autres. Il a bon fonds, mais l’usine et son fonctionnement l’ont rendu dur. J’aurais bien aimé passer un petit moment dans sa tête pour savoir ce qu’il ressentait au fond de lui.

L’écriture 

Sophie Van der Linden écrit très bien, c’est un roman vraiment agréable à lire. Les rêves de Mei qu’elle nous raconte sont assez frappants, écrits avec des mots forts et des phrases brèves. Le quotidien est décrit efficacement, et les paysages prennent vie sous nos yeux.

En quelques mots…

Ainsi, c’est un premier roman étonnant et très prenant que nous offre l’auteure, j’ai eu du mal à m’en détacher et il me trotte encore en tête après l’avoir refermé. Elle met en exergue les dangers de l’espoir et du rêve dans un milieu hostile qui ne l’autorise pas. Pourtant, à regarder en arrière, on se dit que cette parenthèse enchantée en valait sans doute la peine.

Note : 4,5/5

Stellabloggeuse

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" Comme chaque fois, je ne peux m’empêcher d’imaginer l’étranger qui portera la pièce que je suis en train de commencer. Cette chemise-là sera portée par un homme qui aime les jeans et qui fait de la moto. Un homme aux cheveux un peu dorés. Mais pas trop clairs. Si ça continue, je vais faire comme Yuan qui, un jour, a glissé en douce un mot dans la poche d’un pantalon pour hommes, en pensant que le prince charmant qui le porterait trouverait le message et, hop, sauterait dans le premier avion pour venir la sauver. Est-ce qu’il leur arrive de penser à nous ? »

Je n’ai pas été au bout de ma douleur car je sais qu’elle est sans fin. Pourtant, je dois garder ma fierté. Alors, j’ai repoussé ma colère au fond de mon ventre, je l’ai ratatinée, jusqu’à en faire un petit paquet de rien. Et je l’ai laissée là, en me jurant de ne jamais l’oublier. Et de revenir la chercher s’il le fallait.

Ma grand-mère et ce livre m’ont tout appris de la vie. Sans elle, je n’aurais jamais rien su de la tendresse, de l’amour, de la bienveillance. Je n’aurais jamais été qu’un pauvre caillou jeté en ce monde… "

samedi 26 octobre 2013

Les faibles et les forts, de Judith Perrignon : un roman poignant autour d’un fait divers

[Stock, 2013]

J’ai beaucoup apprécié le premier roman de Judith Perrignon, intitulé Les Chagrins, qui évoquait la naissance d’un enfant dans une prison pour femme. Elle nous revient en cette rentrée littéraire avec « Les Faibles et les Forts », avec lequel elle traverse l’Atlantique pour évoquer un autre fait de société, celui du fossé qui perdure entre les Afro-américains et les autres citoyens des Etats-Unis.

Résumé

Ce roman est construit autour de deux faits divers : la noyade de six jeunes afro-américains dans une rivière en 2010, et les émeutes qui ont eu lieu pendant la ségrégation lorsque les piscines ont été ouvertes aux personnes de couleur. Une statistique relie ces deux faits : aujourd’hui, 60% des afro-américains ne savent pas nager, pour des raisons liées à l’époque de la ségrégation. Judith Perrignon imagine donc l’histoire d’une famille afro-américaine, avec des personnages inventés et qui vivent ces deux terribles évènements, nous faisant faire un aller-retour entre 2010 et 1949.

Un roman à plusieurs voix

Comme « Les Chagrins », ce nouveau roman nous offre plusieurs points de vue : celui de Mary Lee, la grand-mère, sa fille Dana, les petits-enfants Déborah, Marcus, Wes et Jonah. C’est principalement la grand-mère qui s’exprime, et c’est elle aussi qui nous offre un flash-back en 1949, en pleine ségrégation. Une nouvelle fois, l’auteur mène très bien son œuvre et gère à merveille les différents points de vue. Elle termine son roman sous la forme d’une émission de radio, un procédé que j’ai trouvé intéressant.

Un livre coup de poing

La ségrégation est un sujet qui a beaucoup été traité dans des romans et pourtant, celui-ci sort du lot. Tout d’abord grâce à l’angle original de la natation. Et ensuite parce que Judith Perrignon a su trouver les bons mots pour restituer la condition des Afro-américains et la violence de ce qu’ils ont vécu. Durant l’épisode qui se déroule en 1949, on est frappé par le sentiment d’impunité des blancs, par la violence gratuite qu’ils déploient et par la position ambiguë des forces de l’ordre chargées de protéger les gens de couleurs sans pour autant sanctionner les agitateurs blancs. Concernant la période actuelle, l’auteure nous fait prendre conscience des préjugés qui pèsent sur les épaules de ces jeunes gens, et combien il est dur pour eux de tracer une autre voie que celle qu’on leur destine, d'autant plus que leurs pères sont le plus souvent absents.

Les personnages

Les personnages sont assez nombreux dans ce roman. Parmi eux, Mary Lee, la grand-mère, est la plus présente et la plus intéressante, car elle a vécu les deux époques, celle de la ségrégation et celle des années 2000. Marcus est un garçon bien, seulement un peu dépassé par la vision que l’on a de lui. Déborah rêve d’être aimée, tandis que leur mère, Dana, n’a jamais réussi à garder un homme et aimerait être fière d’elle-même, à nouveau. Ces personnages sont profondément attachés les uns aux autres et ce roman est aussi une belle histoire de famille.

L’écriture

J’aime beaucoup le style de Judith Perrignon que je trouve assez percutant. Elle emploie des mots forts et parfois crus, mais toujours à bon escient, tout sonne juste. C’est un auteur qui sait donner du poids à ses paroles. En somme, c’est un style à la fois direct et agréable.

En quelques mots…

Ainsi, c’est un roman que je vous recommande volontiers, même si le sujet de la ségrégation a été maintes fois évoqué celui-ci tire son épingle du jeu, je l’ai trouvé très fort. Il est bien mené, bien pensé et bien écrit. A ce jour, c’est le titre de la rentrée littéraire que j’ai préféré, même si je n’en ai pas encore lu beaucoup… !

Note : 4,5/5

Stellabloggeuse

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« Laisse-moi être ton gardien, Marcus, écoute-moi, ne fais rien qui leur permette de t’envoyer en prison, rien qui convainque un peu plus ta mère que c’est l’armée qu’il te faut. Tu l’entends qui marmonne que c’est là-bas que tu dois aller ? Il ne s’était pas écoulé dix minutes après le départ des flics qu’elle te voyait en soldat, mais il ne faut pas que tu y ailles, il y a trop de guerres qui se préparent, des guerres pour rien, qui ne feront pas de toi un homme mais l’ombre d’un homme. »

« Ma mère prétendait nous protéger, nous inculquer les bonnes manières, prendre soin de nous, mais son silence m’effrayait davantage que les pendus de mon grand-père. Jamais elle ne disait, Amuse-toi bien, mais toujours, Fais attention à toi, elle se mettait à crier pour un rien, pour un verre qui se brise dans la cuisine, pour une veste jetée trop vite en rentrant sur le dos d’une chaise, comme si notre maison pouvait s’effondrer d’un instant à l’autre. Elle nous enseignait la peur, la sienne, qui me contaminait, m’envahissait, le danger s’était installé dans ma tête et ce vide avant moi est devenu peu à peu un trou devant moi. »

mardi 22 octobre 2013

La fête de l’ours, de Jordi Soler : un roman noir aux allures de conte

[Belfond, 2011]

Résumé

Dans « Les exilés de la mémoire », Jordi Soler avait retracé le destin de son grand-père, Arcadi, un républicain espagnol qui s’est battu contre Franco. A cette occasion, il avait affirmé qu’Oriol, le frère d’Arcadi, était mort dans les montagnes pyrénéennes. Suite à la parution de ce roman, une femme vient le trouver et lui affirme qu’Orio a survécu, dans le Sud de la France. Jordi Soler part donc en quête de son grand-oncle, découvrant à cette occasion qu’il n’est pas le héros que tous imaginaient.

Une enquête entre réalité et fiction

L’auteur brouille les pistes, il part de personnages existants et le lecteur ne sait pas où s’arrête la réalité et où commence la fiction. Oriol a-t-il vraiment survécu ? Est-il le sombre personnage décrit ici ? L’auteur se met lui-même en scène dans ses recherches et nous fait progresser avec lui sur les traces d’Oriol. Mais à aucun moment il ne nous donne les clés permettant de démêler le réel et l’imaginaire.

Un roman noir aux allures de conte

Ce roman est assez noir dans son contenu, évoquant un certain nombre de crimes et de délit et une propension à la violence. L’auteur a donné à son histoire des allures de conte dans le sens traditionnel du terme, le conte cruel. Nous avons en effet une allégorie du géant, de l’ogre, et même du loup poursuivant le petit chaperon rouge dans la forêt. L’auteur s’est également emparé de la tradition de la « Fête de l’ours » célébrée dans les Pyrénées et de la légende qui l’entoure. J’ai apprécié cette atmosphère particulière, mais sans être embarquée dans le récit, sans m'impliquer dans l'histoire.

Les personnages

L'auteur-narrateur Jordi Soler s'efface devant deux personnages marquants, dont même la présence physique en impose. D'un côté, il y a Novembre, le « géant » amoureux de la montagne et de ses chèvres qui comprend la nature beaucoup mieux qu'il ne comprend les hommes, et qui voue à Oriol une affection aveugle. De l'autre côté il y a Oriol, l'ogre, un ancien pianiste dont la guerre et la fuite des franquistes ont révélé la violence enfouie, le côté bestial. Un personnage qui restera énigmatique jusqu'au bout pour le lecteur, même une fois le livre refermé.

L'écriture

Jordi Soler a un style particulier, avec de très longues phrases qui empêchent le lecteur de reprendre son souffle. Cela donne au roman un petit côté haletant qu'il n'aurait pas sans cela, il oblige le lecteur à avancer encore et encore dans le récit, mais c'est tout de même un peu lourd à la longue. Il réussit également à créer une ambiance inquiétante et mystérieuse.

En quelques mots...

Ainsi, c'est un roman particulier et assez sombre que l'auteur nous propose ici, avec des accents de conte dans le sens cruel du terme. Jordi Soler se met lui-même en scène et brouille les frontières entre le roman et le récit, le témoignage. J'en retiendrai avant tout deux personnages marquants, Novembre et Oriol, mais ce titre n'aura suscité aucune émotion chez moi.

Note : 2,5/5

Stellabloggeuse

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« J’avais commis une sorte de crime, et même s’il était certain que nous avions tous ourdi la fausse mort d’Oriol, il était tout aussi vrai que c’était moi qui l’avait tué par écrit. Cette réflexion, qui a un autre moment m’aurait peut-être fait rire, me sembla alors très grave, me fit penser que mon devoir était d’aller faire une visite à cette femme, à cet homme ou à ce pseudonyme, pour savoir, fût-ce par une tierce personne, ce qu’il était advenu de mon grand-oncle pendant tout le temps où il avait été mort pour nous. La lettre de Novembr était bien plus que la précision d’un lecteur ayant pris en faute l’auteur d’un livre, comme ceux qui prennent la peine de vous écrire pour vous dire « Vous vous êtes trompé, ce n’était pas le XIe siècle, mais le XIIIe » ou « Ce vent que vous décrivez n’est pas le mistral mais la tramontane. », c’était beaucoup plus qu’une précision, c’était la dénonciation d’un assassinat. »

« Chaque rafale qui le frappait l’obligeait à s’arrêter, et c’est au cours d’une de ces pauses, alors qu’il recevait des coups de vent sur la poitrine et le visage, qu’il buta contre le corps d’Oriol, pelotonné et partiellement caché dans une cavité de la montagne. Au début, novembre pensa à un animal, la situation était confuse, il faisait nuit noire, le vent, lourd de glace, soufflait avec fureur, et il préféra d’abord s’en assurer en remuant le corps avec le pied, acte imprudent que pouvait se permettre cet homme gigantesque devant lequel les bêtes préféraient faire demi-tour plutôt que de lui donner un coup de griffe ou le mordre. »

samedi 19 octobre 2013

Les mondes d’Ewilan, tome 1 : La forêt des captifs

[Rageot, 2004]

Cela faisait trop longtemps, plus d’un an déjà, que je n’avais plus goûté à la plume de Pierre Bottero. Ce n’était pourtant pas l’envie qui manquait ! Après la Quête d’Ewilan et le premier tome du Pacte des Marchombres, c’est avec délices que je me suis donc plongée dans le premier tome des Mondes d’Ewilan.

Résumé

Alors qu’ils se rendent dans le monde réel afin de rendre visite aux parents de Mathieu, Ewilan et Salim sont attaqués et la jeune fille est enlevée. Elle est séquestrée dans un endroit au cœur de la forêt de Malaverse, que l’on appelle l’Institution et où se déroulent de curieuses expériences scientifiques concernant les dons des enfants. Salim tentera de de la sauver, coûte que coûte. Et si Eléa Ril’ Morienval et les T’sliches étaient mêlés à tout ça ?

Une aventure dans le monde réel

Une fois n’est pas coutume, ce tome se déroule presque entièrement dans le monde réel, nous ne sommes en Gwendalavir que durant quelques pages. L’auteur a placé la majorité de son intrigue dans les Causses, une région du Massif Central, et à Paris. La forêt de Malaverse est, en revanche, imaginaire. Il nous fait néanmoins découvrir des paysages atypiques et une région peu connues. Cette incursion dans le monde réel lui permet également d’aborder des sujets de sociétés tels que la montée de l’extrême droite ou le comportement « borderline » de certaines entreprises en quête de profits.

La magie et le Dessin sont un peu moins présents dans ce tome, Ewilan étant diminuée. Ils sont tout de même présents : Salim apprivoise son pouvoir de loup, Maniel ceux d’un homme-lige. Quoi qu’il en soit, nos amis vivent une véritable aventure que j’ai suivi avec intérêt. Mon seul reproche, une fois de plus, serait la trop grande facilité de l’intrigue, les personnages se sortent toujours des situations difficiles avec un peu trop d’aisance et on ne retient pas vraiment son souffle.

Les personnages

Ewilan est une fois de plus au cœur de cette aventure. La jeune fille a beaucoup changé, elle a mûri et les épreuves qu’elle a subies ont créé en elle des failles qui me la rendent beaucoup plus attachantes. Elle est moins sûre d’elle, même si elle dirige toujours les opérations. Salim, lui, n’a pas changé, toujours aussi drôle, toujours aussi amoureux. Leur relation est vraiment belle. Les personnages secondaires s’effacent derrière eux. A noter, trois nouveaux personnages importants : Maximilien le chevrier des Causses, Monsieur Vignol le politicien de l’ombre, et le petit Illian tombé aux mains de l’Institution.

L’écriture

C’est un bonheur de retrouver l’écriture de Pierre Bottero, sa simplicité étudiée, la beauté de ses descriptions et l’humour qu’il insuffle. Cet homme avait un vrai talent et, à force de lire des romans jeunesse ou Young Adulte écrits efficacement mais sans aucun charme, je me dis qu’il nous manque beaucoup pour enjoliver le monde…

En quelques mots…

J’ai donc retrouvé avec bonheur Ewilan, Salim et la plume de Monsieur Bottero, pour une aventure qui se déroule dans le monde réel, entre magie et sujet de société. Nous découvrons de nouveaux personnages, dont certains auront sans doute un rôle à jouer dans la suite de la trilogie. Que je lirai avec bonheur !

Note : 4/5

Stellabloggeuse

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Ce roman fait partie des challenges :


Big Challenge 2013 : 8/10

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« Passé le premier instant de surprise, une vague d’indignation souleva Ewilan. Ces enfants, le corps criblé de capteurs, étaient exploités, torturés, mis au service d’expériences dont les fonctions lui parurent évidentes : analyser, disséquer, comprendre leur pouvoir, et peu importait qu’ils soient relégués au rang de cobayes, que leur statut d’êtres humains soit foulé aux pieds. L’indignation se transforma en colère et, avec la colère, une force nouvelle se diffusa dans son corps. La drogue qui coulait dans ses veines se sublima en adrénaline ; Ewilan serra les poings. »

« -J’ai du plaisir à sentir mon corps se remettre à fonctionner, Salim. Je me délecte de mes enjambées qui se fluidifient, du frottement de mes bras contre mon torse, de l’oxygène qui entre dans mes poumons, j’apprécie même la douleur dans mes muscles et mon souffle court…comprends-tu ?
-Je crois, oui, souffla Salim soudain attentif.
-Alors écoute la suite. Je désire marcher pour redevenir moi-même mais, par-dessus tout, je désire découvrir un trajet que j’ai effectué dans tes bras et dont je ne garde pas le moindre souvenir. Si j’en étais capable, je l’accomplirais en te portant sur mon dos pour comprendre la force qui t’a soutenu, sans boire et sans manger, sans certitude pour motiver tes pas. Je veux marcher parce que je te suis redevable, Salim, c’est le seul moyen dont je dispose pour rembourser une infime partie de ma dette. Un pas sur le côté amoindrirait ton geste et je t’aime trop pour te diminuer. »

mardi 15 octobre 2013

Kléber, de Henri Courtade : au cœur des tranchées de Verdun


Je ne vais pas vous ressasser une énième fois mon amour pour les romans de Henri Courtade, je pense que vous aurez compris qu’il s’agit-là de l’un de mes auteurs chouchous, un membre de mon Top Five. Néanmoins, au cas où vous seriez passé à côté, je vous invite à lire les articles de la semaine Henri Courtade ;) Aussi, quand il a annoncé la sortie d’un nouveau roman à quelques jours de mon anniversaire, qui plus est un roman historique, comment aurais-je pu résister ? Ni une ni deux, aussitôt reçu aussitôt lu !

Résumé

Avec ce roman, Henri Courtade nous propose de découvrir le destin de Kléber Dupuy, le héros méconnu de la bataille de Verdun. L’auteur a rencontré le neveu de ce dernier et, littéralement fasciné par son récit, il a décidé de lui rendre justice avec un roman. Il revient brièvement sur la jeunesse de Kléber, avant de nous emmener dans l’enfer de Verdun et d’en tirer les leçons.

Verdun, comme si vous y étiez

Comme le dit l’auteur, il est difficile pour nous de se représenter l’horreur des combats de la Première Guerre Mondiale pour tous ceux qui n’ont pas vécu « ça ». Pourtant, il parvient à nous faire vivre cette histoire de l’intérieur, au travers de Kléber Dupuy. Il n’épargne pas le lecteur concernant les obus et leurs dégâts, les cadavres laissés le plus souvent sur place, parvenant ainsi à nous faire ressentir la violence du conflit. Pour le passage-clé de la bataille, il utilise l’image parlante d’un match de rugby.

Un livre écrit avec le cœur

Mais pour moi, le principal point fort de ce roman à la frontière du documentaire historique, c’est que l’on ressent toute la passion de l’auteur pour son sujet. En effet, Henri Courtade est fasciné par ce premier conflit mondial, par ce gâchis en termes de vies humaines mais surtout, par l’incroyable courage de ces jeunes gens qui ont à peine vingt ans et qui meurent sans hésiter pour leur pays. On sent qu’il a beaucoup réfléchi sur le sujet, sur l’attitude des généraux, sur la psychologie des survivants. C’est un livre écrit avec le cœur, qui transmet des émotions et des réflexions, un bon livre d’Histoire dans le sens où il inculque sans donner un cours. Bref, un ouvrage qui a su parler à mon cœur d’ancienne étudiante en Histoire

Les personnages

On ne peut pas vraiment parler ici de personnages dans le sens où les hommes cités ici ont réellement existé. Kléber Dupuy est au centre, un instituteur réfléchi doté d’un instinct de protection bienvenu, un homme capable de mener des troupes. A côté de lui, les autres Poilus, certains anonymes et d’autres non, mais tous animés du même courage qui les empêche de reculer même si ce combat semble perdu d’avance. Ils savent jouer collectifs. Pourrions-nous en dire autant aujourd’hui si nous avions à revivre cela ? Enfin, des noms connus sont cités ici, des généraux, dont l’Histoire se souvient mais qui, ici, sont relégués à l’arrière-plan.

L’écriture 

Que dire si ce n’est que ce roman est agréable à lire, que j’ai beaucoup aimé suivre ce morceau d’histoire écrit comme un roman. Si certains universitaires voulaient s’en inspirer un peu, ils seraient peut-être davantage lus ! Quoi qu’il en soit, le « style Courtade » est là, efficacement bien écrit. Les descriptions, essentielles pour ce type d’ouvrage, nous plongent véritablement dans le conflit de Verdun, ne nous épargnant ni la chair et le sang, ni le bruit, ni les odeurs.

En quelques mots…

Ainsi, Henri Courtade réalise ici une très belle application du devoir de mémoire en mettant en lumière un destin, celui de Kléber Dupuy, et à travers lui celui de milliers d’hommes ordinaires qui se sont battus pour la France. Il nous fait réfléchir sur ce premier conflit mondial, sur la manière dont il a été mené et sur ses conséquences. Mais surtout, il nous transmet toute sa passion pour le sujet et nous donne goût à la connaissance de l’Histoire. Je ne dirais pas que j’attends le prochain, parce que ce n’est pas gentil de mettre la pression sur un auteur, mais je n’en pense pas moins… ;)

Note : 4/5

Stellabloggeuse

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« J’ai vu, révélé par le flash de l’éclair l’espace d’un dixième de seconde, ressurgir sur son visage la terreur sourde et profonde que mon grand-oncle cachait aux yeux de tous sous ses pitreries incessantes. Tel un voile qui se soulève à peine et laisse entrevoir un infime instant ce qui est caché aux yeux de tous, j’ai entraperçu pour la seule et unique fois de mon existence ce qui pouvait se tramer dans son âme – je dis bien son âme, car il s’agissait là de quelque chose de bien plus profond qu’un esprit meurtri. Une âme définitivement souillée par ce blasphème, cette insulte à la grandeur de l’homme. Une âme prise au hasard parmi des millions d’autres, jeunes et insouciantes, qui ne rêvaient que d’une vie paisible et d’une fille à aimer, enfin, toutes ces choses dont on peut rêver lorsque l’on a vingt ans. Oui, j’ai vu, le temps d’un battement de paupière, ce qui couvait au tréfonds de tous ceux qui avaient vécu ça, et n’en parlaient qu’entre eux. »

« Que faire ? Continuer. Jeter un regard impuissant empli de larmes de colère vers les camarades abandonnés là comme des chiens, puis à l’instant, leur voisin est volatilisé par un obus, quand il ne meurt pas noyé dans les trous gigantesques pleins de boue, ou enterré vif, juste le temps qu’il faut pour qu’il s’étouffe, car un nouvel obus se chargera de le déterrer – trop tard bien sûr – afin de le rappeler au bon souvenir de ceux qui respirent encore. Et avancer en rangs de plus en plus clairsemés. Avancer inexorablement. Avancer vers l’objectif. Coûte que coûte. »

dimanche 13 octobre 2013

La 5e vague, tome 1, de Rick Yancey : un roman convaincant et haletant


Vous qui me lisez, vous savez que j’apprécie les romans de la collection R qui sont généralement des « page-turner » qu’il est difficile de reposer une fois commencés. Cette fois-ci, cette collection nous propose le premier tome d’une histoire d’invasion extraterrestre, « La 5e vague » de Rick Yancey, qui doit être prochainement adapté au cinéma. J’avais très envie de découvrir ce titre, c’est chose faite grâce à Juliah qui m’a gentiment prêté son exemple et à Flo Tous Les livres qui a organisé une lecture commune sur Livraddict.

Résumé

L’humanité est au bord de l’extinction. Les Autres, les extraterrestres, ont longuement étudié la Terre et ses habitants, et ils procèdent par vagues pour faire de cette planète un terrain vierge. Après avoir coupé l’électricité, ils ont provoqué un immense tsunami qui a balayé toutes les côtes, avant de propager une terrible épidémie. Mais le pire n’est pas là. Non, avec la 4e vague, ils se sont immiscés dans les esprits humains, de sorte qu’il est impossible de faire confiance à qui que ce soit. Dans ce contexte apocalyptique, nous suivons deux destins. Celui de Cassie, 16 ans, presque persuadée d’être la dernière humaine sur Terre mais décidée à retrouver son petit frère. Celui de Ben, 16 ans également, enrôlé dans une armée impitoyable.

Un univers convaincant

J’ai rapidement adhéré à l’univers proposé par l’auteur et à sa vision des extraterrestres. Nous sommes ici loin des petits hommes verts qui ont fait les grandes heures du cinéma. Ces extraterrestres-là s’apparentent davantage à ceux des Ames vagabondes de Stephenie Meyer, des entités très intelligentes qui se sont faufilées dans le psychisme humain. En revanche, ceux-ci sont vraiment très méchants, puisque leur objectif est clairement l’éradication de l’espèce humaine. J’ai beaucoup aimé la manière dont ils s’y prennent, ce monde dur et apocalyptique, les technologies développées. La 5e vague est étonnante et peut-être, pas tout à fait crédible, mais je m'y suis volontiers laissée prendre.

De l’action et des émotions

Malgré ses presque 600 pages, j’ai dévoré ce roman en trois ou quatre jours, pour une raison simple : j’avais beaucoup de mal à le reposer tant j’avais envie de connaître la suite. Je n’ai pas ressenti de « creux » dans l’histoire, je ne me suis pas ennuyée. L’histoire est bien menée, l’action est très présente et l’auteur fait peu à peu la lumière sur la manière dont l’invasion extraterrestre a commencé. Mais si ce roman fonctionne aussi bien, c’est aussi grâce aux émotions qu’il véhicule : le désespoir avec lequel Cassie recherche son petit frère, la culpabilité de Ben, les sentiments qui naissent envers et contre tout. Car oui, il y a une part de romance dans cette histoire, mais elle est crédible et n’est pas omniprésente.

Les personnages

Les personnages créés par Rick Yancey ont su me séduire. Cassie est une survivante, elle a dû affronter la solitude et se résoudre à tuer. Elle a du mal à accorder sa confiance, mais elle n’a pas la dureté d’une Katniss (Hunger Games) et reste, au fond, une adolescente de 16 ans attachante. Quant à Ben, il m’a également été sympathique. Il a peu confiance en lui et en ses capacités de combat, mais il s’avère finalement très solide. Et comment ne pas apprécier Sammy, petit bout de 5 ans qui affronte les évènements à sa manière et qui a une foi inébranlable en sa grande sœur. Enfin je me suis également laissée séduire par Evan, un personnage que j’aimerais connaître un peu mieux. L’alternance de points de vue entre Cassie, Ben et deux autres personnages (moins présents) est déstabilisante au départ, mais je l’ai trouvée finalement très intéressante.

L’écriture 

Le style de Rick Yancey est simple et efficace. Ses descriptions des paysages et des combats sont assez parlantes, nous donnant presque l’impression de regarder un film. En revanche, je regrette un langage un peu trop familier, beaucoup de « baiser », de « cul », etc etc. Certes, c’est la fin du monde, on ne va pas s’encombrer de politesses, mais c’est un peu exagéré à mn goût… J’ai trouvé cela un peu limite pour un roman destiné à un public adolescent.

En quelques mots…

Ainsi, j’ai adoré ce premier tome qui nous présente un univers convaincant et des extraterrestres qui font froid dans le dos. L’action trépidante et une galerie de personnages attachants font en sorte que le lecteur a du mal à lâcher ce roman. J’ai déjà hâte de lire la suite ! Merci à Flo pour l’organisation de cette LC !

Les avis de mes camarades de lecture : Flo Tous les Livres (organisatrice), AvelineOlympe16,Croc-book, …

Note : 4,5/5

Stellabloggeuse

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Ce roman fait partie du challenge :




Challenge 100% R : 9e lecture

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« Je crois qu’il est temps que je vous parle de Sammy. Je ne sais pas comment aborder ça. Ça étant les premiers centimètres au grand jour quand le soleil a effleuré ma joue griffée au moment où je me suis extirpée de sous la Buick. Ces premiers centimètres ont été les plus difficiles. Les plus longs de l’univers. Ça étant l’endroit précis de l’autoroute où je me suis retournée pour faire face à l’ennemi invisible. Ça étant la seule chose qui m’empêche de devenir complètement dingue, celle que les Autres n’ont pas été capables de m’ôter, après m’avoir tout pris. Sammy est la seule raison pour laquelle je n’ai pas abandonné. La raison pour laquelle je ne suis pas restée sous cette voiture à attendre la fin. »

« Mon père avait de la chance. Comme nous tous. Cette chance nous avait permis d’échapper aux trois premières vagues. Mais même le plus grand joueur de poker vous dira que la chance n’est pas éternelle. Je crois que, ce jour-là, c’est ce que mon père ressentait. Non pas que notre chance avait tourné. Ça, personne ne pouvait le deviner. Mais je pense qu’il savait qu’à la fin, ce ne seraient pas les plus chanceux qui resteraient en vie. Ce seraient les plus endurcis. Ceux qui diraient à Mme la chance d’aller se faire foutre. Ceux avec un cœur de pierre. Ceux capables de laisser mourir une centaine de personnes afin qu’une seule puisse vivre. Ceux qui auraient la sagesse de cramer un village pour le sauver. »