mardi 26 novembre 2013

Esprit d’hiver, de Laura Kasischke : un huis-clos brillamment mené


« Esprit d’hiver » de Laura Kasischke est l’un des titres de la Rentrée littéraire 2013 qui m’a immédiatement attirée, lorsque j’en ai découvert le résumé et que j’ai eu l’occasion de lire un extrait du début du roman. Aussi, quand il a été proposé lors que l’opération « Matchs de la Rentrée littéraire » de Price Minister, je n’ai pas hésité beaucoup avant de le sélectionner.

Résumé

C’est le matin de Noël. Holly a dormi trop tard et se réveille avec une idée fixe : quelque chose les a suivis depuis la Russie, une quinzaine d’années auparavant, lorsqu’ils ont ramené avec eux leur fille adoptive, Tatiana. Comme pour lui donner raison, la journée prend rapidement une tournure étrange : son mari Eric doit emmener ses parents aux urgences, un blizzard terrible se lève, et les invités se décommandent les uns après les autres. Tatiana, pour sa part, a un comportement des plus étranges, incohérent et agressif. Mère et fille vont pourtant se retrouver en tête à tête toute la journée…

Un huis-clos pesant mais bien mené

L’intrigue de ce roman se déroule ainsi à huis-clos, dans une ambiance qui devient rapidement pesante. L’auteure parvient à créer un malaise qui va crescendo, avec des évènements étranges qui confinent parfois au fantastique. Pourtant, tout trouve son sens à la fin du roman, toutes les pièces s’emboîtent enfin, et le lecteur se rend compte qu’il avait, depuis le départ, tous les éléments nécessaires pour comprendre le fin mot de l’histoire, et qu’il n’a rien vu venir !

Entre-temps, l’ambiance se fait lourde et l’action est quasiment inexistante, l’auteure se focalise sur la psychologie, sur les rapports entre ses deux personnages. Amateurs de livres « qui bougent », passez votre chemin ! Néanmoins j’ai apprécié cette tension psychologique, et suffisamment intriguée par les mystères soulevées par l’auteure pour aller avec intérêt jusqu’au bout de ma lecture.

Les personnages

Les deux personnages ne sont pas particulièrement attachants. Holly est une mère excédée, qui a du mal à passer le cap de l’adolescence de sa fille. Elle se montre parfois étrangement détachée vis-à-vis d’elle, finissant par reconnaître qu’elle n’était peut-être pas faite pour devenir mère. Quant à Tatiana, elle se montre lunatique et a des réactions excessives, j’ai eu du mal à suivre ses changements d’humeur. Les rapports entre les deux personnages m’ont vraiment mise mal à l’aise.

L’écriture

Prise dans l’ambiance et dans la tension du roman, j’avoue ne pas avoir fait très attention au style, il m’est donc difficile de le commenter. Je dirais qu’il ne m’a pas posé de difficulté particulière, mais qu’il n’a rien d’inoubliable. L’intérêt de ce roman réside davantage dans la narration.

En quelques mots…

Ainsi, c’est une lecture assez déconcertante. L’auteure réussit à merveille a créer le malaise et mène son intrigue de manière très intelligente. En revanche, je ne dirais pas que j’ai éprouvé beaucoup de plaisir à la lecture, plutôt une sorte de fascination morbide. Je remercie en tout cas Price Minister pour cette découverte !

Note : 15/20 (note sur 20 pour départager les titres des « Matchs de la Rentrée littéraire »)

Stellabloggeuse

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« C’était quelque chose que Holly avait su, apparemment, au plus profond de son cœur, ou de son inconscient ou quel que soit l’endroit où ce genre d’information se terre à l’intérieur d’une femme, à son insu, pendant des années, jusqu’à ce qu’un évènement lui fasse prendre conscience qu’elle a oublié, ou refoulé, ou…Ou bien était-ce une chose qu’elle avait volontairement ignorée ? A présent elle s’en apercevait : Quelque chose les avait suivis depuis la Russie jusque chez eux ! »

« Et, plutôt que d’être une déception pour Holly, le fait que Tatiana ne soit pas parfaite s’était révélé si doucement alors qu’elle grandissait, que cela l’avait rendue encore plus magique aux yeux de sa mère. »

samedi 23 novembre 2013

Dans les forêts de Sibérie, de Sylvain Tesson : des paysages et des réflexions

[Gallimard, 2011]

Je n’ai pas pour habitude de lire des essais, me tournant bien plus souvent vers les romans, les œuvres d’imagination. C’est dans le cadre d’un club de lecture autour des récits de voyage que j’ai donc découvert « Dans les forêts de Sibérie », de Sylvain Tesson.

Résumé

Ce livre est constitué du journal de Sylvain Tesson, qu’il a rédigé durant les six mois qu’il a passés en Sibérie, dans une cabane, au sein d’une réserve naturelle sur les rives du lac Baïkal. A une journée de marche de son premier voisin, il apprend à vivre avec la solitude rompue par quelques visites, le froid, et un faible éventail d’activités à sa disposition.

Une nature magnifique

La nature est omniprésente dans la vie de Sylvain Tesson. Le lac Baïkal est à lui seul un véritable personnage de ce livre, il est présent presque à chaque page. D’abord gelé, il offre des paysages polaires. Puis, avec l’arrivée du printemps, il se craquelle puis bouillonne. La forêt et les montagnes sont également très présentes, puisque l’auteur effectue de longues randonnées, parfois sur plusieurs jours. L’auteur observe également beaucoup les animaux qui l’entourent : les oiseaux qui égaient sa fenêtre, les ours qui constituent une menace, ses deux chiots dont il admira la capacité à se satisfaire toujours du même bâton. Ainsi, ce récit constitue une véritable plongée dans la nature.

Un cheminement intérieur

Mais ce qui m’a semblé le plus intéressant, c’est le cheminement intérieur de l’auteur. Au début, il s’oblige à vivre simplement et à observer ce qui se passe autour de lui, puis cela devient naturel. Il se nourrit de lectures qui alimentent à merveille sa pensée. Il découvre les joies de la solitude, de s’éloigner des pressions de la société, vivant parfois les visites qu’il reçoit comme des intrusions. Il prend plaisir à une vie simple, se trouvant plus heureux en ayant une palette d’activités plus réduite, tandis qu’en ville il ressentait le besoin de remplir sa vie avec des expériences inédites. Enfin, il apprend à vivre au présent, dans l’instant, à apprivoiser sa peur du temps qui passe et à ne pas se projeter sans cesse dans l’avenir ou le passé. Le tout arrosé copieusement de vodka russe !

Les personnages

L’auteur est un vrai « personnage », quelqu’un de marquant que j’ai pris beaucoup de plaisir à suivre. C’est visiblement un grand voyageur et un amoureux des grands espaces, des longues marches. C’est quelqu’un d’assez sensible et de très cultivé. Les russes sont également intéressants à découvrir, car pleins de paradoxes. Ils sont méfiants envers les étrangers, choqués par le nombre de musulmans et d’immigrés en France. Mais ils sont aussi capables d’une grandes hospitalité et de partir à l’aventure sur un coup de tête. On sent l’auteur osciller entre incompréhension et sympathie à leur égard.

L’écriture

La lecture de ce récit est un vrai plaisir littéraire. La plume est travaillée et les descriptions de paysage sont particulièrement réussies. Je n’aurais jamais cru prendre autant de plaisir en lisant des pages de description d’un lac gelé ! Il fait également preuve d’humour et d’autodérision. Au cours de la lecture, j’ai relevé de nombreuses citations, je n’ai d’ailleurs pas résisté et je vous en ai préparé 5 que vous trouverez à la fin de ce billet. Mais en résumé, je me suis régalée ! Seul petit bémol, le récit est parfois si dense et si bien écrit que j’ai ressenti le besoin de le savourer à petite dose, j’ai eu du mal à lire plus de 30 pages à la suite.

En quelques mots…

Ainsi, je ne peux que vous conseiller de découvrir ce récit de voyage et ce cheminement intérieur extrêmement intéressant et bien écrit. J’aurais déjà presque envie de le relire !

Note : 5/5 (Coup de cœur)

Stellabloggeuse

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"La cabane, royaume de simplification. Sous le couvert des pins, la vie se réduit à des gestes vitaux. Le temps arraché aux corvées quotidiennes est occupé au repos, à la contemplation et aux menues jouissances. L'éventail de choses à accomplir est réduit. Lire, tirer de l'eau, couper le bois, écrire et verser le thé deviennent des liturgies. En ville, chaque acte se déroule au détriment de mille autres. La forêt resserre ce que la ville disperse."

"Je dîne, les yeux par la fenêtre. Il y a des gens dont les repas proviennent exclusivement d'un paysage étendu dans leur champ de vision. C'est une définition de l'Eden. Vivre replié dans un espace que le regard embrasse, qu'une journée de marche permet de circonscrire et que l'esprit se représente."

"Nous jouons sur la plage. Je leur lance l'os de cerf déniché par Aïka. Ils ne se lassent jamais de me le rapporter. Ils en mourraient. Ces maîtres m'apprennent à peupler la seule patrie qui vaille : l'instant. Notre péché à nous autres, les hommes, c'est d'avoir perdu cette fièvre du chien à rapporter le même os. Pour être heureux, il faut que nous accumulions chez nous des dizaines d'objets de plus en plus sophistiqués. La pub nous lance son "va chercher!". Le chien a admirablement réglé le problème du désir."

"Le paradis aurait du se situer ici : une splendeur infaillible, pas de serpents, impossible de vivre nu et trop de choses à faire pour avoir le temps d'inventer un dieu."

"Je me sens de la chrétienté, ces étendues où des hommes, décidant de vénérer un dieu qui professait l'amour, autorisèrent la liberté, la raison et la justice à envahir le champ de leurs cités. Mais ce qui me retient, c'est le christianisme, ce nom que l'on donne au tripatouillage de la parole évangélique par un clergé, cette alchimie de sorciers à tiares et à clochettes qui ont transformé une parole brûlante en code pénal. Le Christ aurait dû être un dieu grec."

mardi 19 novembre 2013

Francesca, empoisonneuse à la cour des Borgia, de Sara Poole : un roman historique pour se détendre

[Ma éditions, 2011]

Vous connaissez mon goût pour l’Histoire et ma passion récente pour les romans de Kate Quinn, La maîtresse de Rome et L’impératrice des Sept collines. En ce froid mois de novembre, j’ai eu envie de retrouver un peu de ce plaisir de lecture et j’ai tenté l’aventure avec un roman de Sara Poole : Francesca, empoisonneuse à la cour des Borgia.

Résumé 

A Rome, en 1492, l’empoisonneur de la famille Borgia est sauvagement assassiné en pleine rue. Assoiffée de vengeance, sa fille, Francesca se bat pour lui succéder dans ses fonctions et se donner ainsi les moyens d’élucider son meurtre. Pour cela elle est amenée à intriguer pour l’accession du cardinal Rodriguo Borgia au trône papal, soutenu par les Juifs qui sont menacés par le pape actuel Innocent III. Mais pour cela, il faut tout d’abord que ce dernier meure de la manière la plus naturelle possible…

Une intrigue convaincante

L’intrigue met un peu de temps à se mettre en place, mais elle a fini par m’emporter et j’ai suivi les divers évènements avec intérêt. Il y a du rythme et un certain suspense, même si on se doute fortement de l’issue du roman. Le tout se passe dans le contexte de la Rome de la Renaissance, ses rues coupe-gorge, sa basilique Saint Pierre en ruine. La famille Borgia, logée dans de véritable palais, fait la pluie et le beau temps sur la ville, mais elle est aussi soumise à une menace constante. Le contexte de l’Inquisition est également bien restitué, avec son antisémitisme ambiant. J’ai trouvé l’ensemble assez cohérent et convaincant. A la fin du roman, l’auteure revient sur le contexte historique et explique ce qu’elle a inventé et ce qu’elle a tiré d’évènements réels.

Un côté religieux très présent

L’aspect religieux est très présent dans ce roman. Etant donnée l’époque de l’intrigue et le contexte de lutte pour l’accès à la fonction papale, cela semble plutôt logique. Francesca est une empoisonneuse, elle est donc prise entre la nécessité de tuer et la peur pour le salut de son âme, elle interroge régulièrement sa conscience. C’est intéressant, mais peut-être un peu lassant à la longue. En parallèle, l’auteure met en évidence la décadence de l’Eglise, avec des cardinaux qui multiplient les maîtresses et les enfants illégitimes, y compris le premier d’entre eux, le pape.

Les personnages

Francesca est une jeune femme intéressante, mais pour une raison que je ne m’explique pas, je ne me suis pas vraiment attachée à elle. Peut-être que son côté dévot m’a empêché de m’identifier vraiment à elle. En tout cas c’est un personnage complexe qui recèle son lot de noirceur, tout en étant fondamentalement une bonne personne. Beaucoup d’hommes gravitent autour d’elle, notamment le cardinal Borgia, un homme puissant et lucide sur le monde qui l’entoure, son fils César, amant de Francesca, et Rocco, un verrier plus âgé qu’elle mais qui est un véritable roc sur lequel s’appuyer. Le garde Vittorio et les Juif David  et Sofia viennent compléter le camp des amis de Francesca. Enfin, soyez à attentifs à Morozzi, le prêtre doté d’une beauté d’ange et qui a plus d’un tour dans son sac.

L’écriture

Le roman est agréable à lire, l’écriture et la traduction sont d’assez bonne qualité. Rien d’inoubliable cependant, ne cherchez pas ici de grandes qualités littéraires, c’est avant tout une bonne lecture-détente.

En quelques mots…

Ainsi, j’ai apprécié ce roman doté d’une intrigue intéressante et qui s’empare du contexte historique de la fin du XVe siècle. C’est une bonne lecture-détente, même si j’ai regretté l’omniprésence de la religion et que j’ai eu du mal à vraiment m’attacher au personnage principal. Si vous aimez Rome et l’Histoire, ce roman devrait néanmoins vous satisfaire.

Note : 3,5/5

Stellabloggeuse

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« Si vous deviez un jour visiter Rome, ou si vous avez la chance d’y résider, je ne saurais trop vous recommander de vous lever une fois aux aurores pour observer comment le jour nouveau transforme la cité, la faisant passer du monochrome de la nuit aux nuances rougeoyantes que le soleil parvient à donner à cette pierre remarquable. Ensuite vous verrez ces couleurs devenir plus profondes, jusqu’à virer quasiment au violet, avant de se changer, en fin de journée, en un or mat. On dit que Rome possède la plus belle palette de couleurs qu’une ville peut avoir, et je ne vois rien à redire à cela. »

samedi 16 novembre 2013

Pas assez pour faire une femme, de Jeanne Benameur : l’éveil à la féminité et à la lutte


Voici maintenant quelques années que j’entendais régulièrement parler de Jeanne Benameur et de ses romans. Ce petit roman destiné aux adolescents et aux plus grands, paru chez Thierry Magnier pour la Rentrée littéraire 2013, m’a donné l’occasion de la découvrir, d’autant plus qu'il avait séduit ma copinaute Cajou.

Résumé 

Judith, âgée de 17 ans, entre à l’université et occupe pour la première fois son propre studio. Loin du regard de son père et de la tyrannie domestique qu’il exerce, la jeune fille s’épanouit entre les bras d’Alain qui l’éveille en même temps à la lutte politique. Ensemble, en ce début des années 1970, ils tentent de faire en sorte que Mai 68 ne se réduise pas à un souvenir.

Le contexte des années 1970

L’auteure, qui est de la même génération que sa narratrice, restitue pour nous le bouillonnement des étudiants au début des années 1970. Après les conquêtes de 1968, le manque de moyens accordé aux universités les déçoit, et ils réclament le droit au savoir. Mais ces revendications s’étendent bien plus loin que le cadre de l'université. C’est une génération qui réclame d’être libre, de pouvoir décider de sa vie. Cela est particulièrement valable pour les femmes qui, à l’époque, passaient du joug de leur père à celui de leur mari. Judith et Alain se battent pour une existence différente, avec conviction.

L’éveil à la féminité

Mais ce petit roman est avant tout l’évocation d’un éveil à l’amour et à la féminité. Judith découvre son corps, le désir, l’intimité d’un homme. Mais elle apprend surtout beaucoup sur elle, sur l’enfant qu’elle a été et sur la femme qu’elle souhaite devenir. Elle s’interroge beaucoup sur les rapports amoureux et la place que l’on doit accorder à l’autre. Tout cela sonne très juste et a trouvé une résonnance en moi.

Les personnages

Judith est un personnage attachant, j’ai beaucoup aimé la regarder évoluer, laisser parler son désir et libérer son corps. C’est une fille intelligente, qui se pose beaucoup de questions. C’est aussi un esprit torturé par la pression conservatrice de son père, elle évoque souvent un « lac noir » tapi au fond de son être et dans lequel elle n’ose puiser. Alain est également un personnage plaisant, un meneur politique convaincu qui va au bout de ses idées et un premier partenaire à la hauteur pour Judith. Quant à la famille de Judith, elle est dominée par la figure du père, tandis que sa mère et sa sœur tentent d’entrer dans le moule des femmes modèles.

L’écriture

J’ai découvert ici l’écriture de Jeanne Benameur qui est très intéressante et agréable à lire. Son style est original, un peu oral dans le sens où l’on a vraiment l’impression que la narratrice nous parle, nous sommes comme branchés en permanence sur le flux de ses pensées. C’est un style direct qui recèle également une forme de poésie. Je suis sous le charme.

En quelques mots…

Ainsi, j’ai beaucoup apprécié ce petit roman qui constitue un éveil à l’amour et à la féminité et qui nous plonge dans les luttes politiques et sociales du début des années 1970. Porté par un personnage intelligent et attachant, et par le style très agréable de l’auteur, c’est un titre de la Rentrée littéraire à ne pas manquer, à lire à partir de 14-15 ans et qui peut également plaire aux adultes. Je n’ai qu’un regret : qu’il soit si court !

Note : 4,5/5

Stellabloggeuse

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« Il me sourit et je fonds. Je tends la main vers son épaule. Toucher. Toucher. Je ne sais pas comment j’ai toute cette audace. Je ne peux pas parler mais toucher, oui. Avec lui, oui oui oui. Il sourit plus fort. Il me prend contre lui, il me serre. C’est tout ce que je veux. Et que ça ne s’arrête jamais. Je découvre, je découvre. Je n’aurais jamais assez de temps pour découvrir. Ce que m’ouvre ce garçon c’est un territoire infini à l’intérieur de moi. Je n’en reviens pas. Je n’ai pas envie d’en revenir. »

« Le temps de la lutte était venu. Derrière les sages revendications matérielles, il y avait la grande la totale revendication d’une vie qui tiendrait ses promesses de liberté, d’humanité, dans un monde qui reconnaîtrait ces valeurs-là plutôt que les simples valeurs marchandes. On n’était pas des objets qui s’échangent contre de l’argent. Le savoir, la pensée, n’étaient pas des produits manufacturés avec un prix et une étiquette collés dessus. C’était bien plus que ça. Et c’était ça que nous venions chercher. »

mercredi 13 novembre 2013

Pietra Viva, de Léonor de Récondo : Michel-Ange, la pierre et le deuil


L’opération « Rentrée littéraire » de Price Minister, à laquelle je participe depuis l’an dernier, permet de découvrir gratuitement un titre, en l’échange d’une chronique. Cette année, j’ai eu la chance d’être citée comme « marraine » par un nouveau participant, ce qui m’a permis de recevoir un second livre en cadeau. J’ai choisi « Pietra viva », de Léonor de Récondo.

Résumé

Dévasté par la mort d’Andréa, un jeune moine qu’il considérait comme un idéal de bonté, Michel-Ange se rend à Carrare afin de choisir les blocs de marbres dans lesquels il sculptera le tombeau du pape. Ici, en compagnie de ces gens ordinaires, des tailleurs de pierre, un enfant, un simple d’esprit, l’artiste laissera peu à peu sa carapace se fendiller et ses émotions s’exprimer.

Une vie simple

Ce roman rend hommage à la vie simple des tailleurs de pierre, qui travaillent toute la journée sous un soleil de plomb. Un travail certes physique, mais aussi des artistes qui ont une connaissance profonde du marbre, de sa texture, de ses veines. Michel Ange se retrouve ainsi à partager des repas avec ces gens humbles, à nouer une amitié avec un jeune homme qui se prend pour un cheval, et à partager de longues discussions avec un petit garçon. Nous sommes loin ici des fastes de Rome, mais c’est dans cette simplicité que Michel-Ange retrouve le sens de son existence et fait son deuil de ceux qui l’ont quitté.

L’art et l’amour de la pierre

L’histoire fait également la part belle à la sculpture, et à l’amour de Michel-Ange pour la pierre. Il connaît le marbre, jugeant de sa valeur au premier coup d’œil, le sentant prendre vie sous ses doigts. Ainsi, le marbre est pratiquement l’un des personnages du roman. L’auteure s’est efforcée de décrypter la manière dont Michel-Ange appréhendait son art et fait de ce séjour à Carrare un tournant dans sa carrière. J’ai pris plaisir à cette dimension artistique.

Les personnages

Au début du roman, Michel-Ange est un personnage ombrageux, qui fuit la compagnie et la conversation des gens. Il refuse de se lier, craignant de laisser sortir les émotions enfouies en lui. Pourtant, au contact des villageois, il va peu à peu s’ouvrir et laisser affleurer des souvenirs enfouis. Cette évolution est très intéressante à suivre. J’ai également apprécié les villageois, notamment le petit Michele qui fait parfois preuve de davantage de maturité que Michel Ange, mais surtout Cavallino, qui certes, se prend pour un cheval, mais qui a tout compris à l’amour.

L’écriture

Le style de Léonor de Récondo est très agréable, travaillé et souvent poétique, sans être inabordable pour autant. La lecture est très plaisante. Un seul bémol à apporter, je n’ai en revanche pas ressenti d’émotion particulière lors de ma lecture.

En quelques mots…

Ainsi, j’ai apprécié ce titre qui fait de Michel-Ange un personnage de roman, auquel l’auteure a offert une belle évolution. Ce roman fait la part belle à la pierre et à la sculpture, ainsi qu’à des villageois d’une touchante simplicité. Et, pour ne rien gâcher, le tout est servi par une belle écriture poétique.

Note : 3,5/5

Stellabloggeuse

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« A force de côtoyer leurs rires et la montagne, la fièvre de la pierre était entrée en lui et ne l’avait plus quitté. Elle était entrée comme un torrent. Ce qui l’intéressait, c’était de toucher les outils, les voler pour les utiliser à sa guise, mentir le plus dignement possible en disant que non, ce n’était pas lui. Prendre des bouts de pierre tombés ou délaissés par les tailleurs, jouer avec, les cogner les uns contre les autres, écouter la musique qui en résultait, l’imprimer dans son cœur afin de ne jamais l’oublier et, surtout, se dire qu’en apprenant à maîtriser la pierre, il apprendrait à maîtriser le monde, plus exactement à le sculpter au gré de son imagination, et Dieu sait qu’il en avait. »

« Andrea, retourne d’où tu viens ! Ne me laisse pas croire trop longtemps que tu es là. Eloigne ton corps du mien. Eloigne tes doigts des miens. Et qu’avec toi s’en aillent les souvenirs de ta peau que je n’ai jamais touchée, que je n’ai fait que parcourir du regard sur le marbre. Andrea, tu es la beauté que je ne saurai jamais atteindre avec mon ciseau. Tu es la preuve ultime de la supériorité de la nature sur mon art. Te voir me rappelle mon inutilité. »

samedi 9 novembre 2013

Zouck, de Pierre Bottero : danse et anorexie

[Flammarion, 2004]

Après Les Mondes d’Ewilan qui m’a beaucoup plu le mois dernier, j’ai eu envie de lire encore un titre de Pierre Bottero, à quelques jours de l'anniversaire de sa mort (le 8 novembre). Mon choix s’est porté sur Zouck, qui est au programme du Big-Challenge.

Résumé

Anouck, dite Zouck, s’épanouit dans la danse et dans l’amitié qu’elle partage avec Maïwenn. C’est une jeune fille équilibrée, qui a une vie de famille saine et de bons résultats scolaires. Pourtant, un jour, à la faveur de quelques commentaires désobligeants, elle dérape et commence à s’étioler. Pour s’en sortir, elle ne peut même pas compter sur Maïwenn, préoccupée par une histoire d’amour passionnée avec un homme de quarante ans.

Le chemin sombre de l’anorexie

Pierre Bottero s’est attaqué ici à un sujet délicat, celui de l’anorexie. Maintes fois traité dans des romans pour la jeunesse, le sujet est cette fois abordé sous l’angle de la danse classique. L’auteur évoque la maladie avec pudeur, sans en faire trop mais sans cacher non plus sa violence pour le corps et pour l’esprit. Il restitue le mal-être de la jeune fille, son sentiment de ne pas exister face aux jolies blondes filiformes, elle qui se définit « quelque part entre le boudin et le canon ». Mon seul regret, c’est que les choses aillent un peu vite, tant dans le développement de la maladie que dans sa prise en main.
  
Un hymne à la danse

Ce roman fait également la part belle à la danse, puisque le personnage principal s’adonne à cette activité presque chaque soir. Zouck fait de la danse classique et du jazz. L’auteur évoque la plénitude que l’on peut ressentir en dansant, et maîtrisant son corps. Mais il met aussi en lumière le côté perfectionniste de la danse classique, qui pousse les danseuses à porter une attention démesurée à leur apparence si elles veulent sortir du lot. Il rappelle que rien ne devrait être plus important que le plaisir de danser.

Les personnages

Zouck est un personnage crédible et attachant de jeune fille « normale », qui souffre d'un sentiment d'invisibilité par rapport à des camarades plus exubérant. Elle suit les règles et s'applique à être une bonne élève. Sa créativité et ses rêves s'expriment dans la danse. Elle est entourée d'une famille aimante, même si elle se chamaille avec Laura, sa petite sœur de 10 ans. Maïwenn, beaucoup plus fonceuse et expansive, sa seule véritable amie, est indispensable à son équilibre

L’écriture

L'écriture de Pierre Bottero continue à faire merveille sur moi. Bien qu'un peu moins travaillée quand dans ses romans de fantasy, la langue est belle et l'auteur nous livre même quelques brides de poèmes très réussis. Il a très bien réussi à se glisser dans la tête d'une jeune fille, d'une danseuse qui plus est. C'est un vrai plaisir de le lire.

En quelques mots…

Ainsi, c'est un petit roman centré sur la danse et l'amitié, qui évoque l'anorexie avec pudeur et délicatesse. Le personnage principal est attachant et l'on suit son évolution avec intérêt. L'écriture est toujours aussi plaisante. Mon principal regret concernant ce roman, c'est qu'il est court, et que l'intrigue se développe et se résout trop rapidement à mon goût.

Note : 3,5/5

Stellabloggeuse

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Ce roman fait partie des challenges :


 Big Challenge 2013 : 9/10


 Baby challenge jeunesse 2013 : 11/20

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« En jazz, la mode veut que nous portions des tenues décontractées du genre short et tee-shirt, voire bas de jogging et pull en laine quand il fait froid. Look et confort sont les mots-clés. En classique, c’est différent. L’apparence est reine. Les canons très stricts de la perfection physique sont de rigueur. Justos moulant, cache-cœur de maille, chignon imposé, tout est fait pour mettre en valeur la sveltesse des corps, les formes longilignes et les traits épurés. »

« La musique était une onde qui me portait. Toujours plus haut. Je me sentais légère, presque éthérée. J’avais la sensation que mes gestes pouvaient s’affiner jusqu’à devenir parfaits, que le concept d’harmonie devenait accessible. Chaque mouvement me libérait d’un poids, d’un souci, d’une rancœur, je n’étais plus qu’équilibre et envol. »

« Savez-vous ce que ressent un oiseau lorsqu’un chasseur lui tire dessus, lorsque son corps percé de mille blessures ne lui répond plus, lorsque ses plumes arrachées par les plombs tournoient dans le ciel autour de lui, lorsque ses ailes brisées pendent, inutiles ? Il souffre. Il souffre et il tombe. »

mercredi 6 novembre 2013

Le journal malgré lui de Henry K. Larsen : un roman prenant et émouvant

[Hélium, 2013]

Les adolescents ont eux aussi leur rentrée littéraire, et c’est avec délices que je me suis plongée dans l’un des titres parus ces dernières semaines : Le journal malgré lui de Henry K. Larsen, de la canadienne Susin Nielsen.

Résumé

Henry, un jeune collégien de la région de Vancouver se voit « forcé » de commencer un journal intime. En effet, suite à des évènements traumatisants en lien avec son grand frère Jesse, il a commencé une psychothérapie. Henry doit également faire face à des kilos en trop et à son arrivée dans une nouvelle ville et un nouveau collège. Il nous raconte avec beaucoup d’humour et de légèreté un quotidien pas toujours facile et surtout, il reprend le fil de ses souvenirs pour en venir peu à peu à évoquer ça, cet évènement qui a fait basculer sa vie.

Le quotidien d’un collégien

L’histoire nous est donc contée sous la forme d’un journal intime, celui de Henry qui commence par nous relater son quotidien de collégien. Il arrive dans un nouvel établissement en cours d’année, les « clans » sont déjà formés et son surpoids ne lui donne pas confiance en lui. Il va pourtant trouver sa place dans un groupe de jeunes « décalés », qui ne correspondent pas aux canons du collégien branché. Il noue peu à peu des amitiés avec eux, et avec ses voisins de palier. Enfin, il suit avec passion la Ligue planétaire de catch. J’ai pris plaisir à ce quotidien tout simple, souvent drôle et bien raconté.

Le thème du harcèlement

Mais tout ne peut pas être si simple, et le drame vécu par Henry le hante tout au long du roman. Nous en apprenons peu à peu la teneur, même si l’un des éléments ne nous est délivré qu’à la toute fin de l’histoire. Henry tente donc de se reconstruire. Après une période de fermeture où la nourriture est son seul réconfort, il accepte peu à peu d’ouvrir la porte sur ses souvenirs et de laisser ses émotions l’envahir. Il tente tant bien que mal de recoller les morceaux de sa famille. Sans en dire trop, sachez que le thème du harcèlement à l’école est très présent et que l’auteur en restitue bien l’engrenage, l’escalade de la violence favorisée par le silence des victimes.

Les personnages

Henry est un personnage attachant, que l’on a envie de protéger. Il se montre fort et essaie de tenir ses émotions à distance, de se construire une carapace d’autodérision, mais il ne peut cacher ses failles. Il a une évolution très intéressante, son propre regard sur les autres change au cours de l’histoire. Autour de lui, beaucoup de gens sympathiques : le « pot de colle » Farley, Alberta la malpolie, les voisins un peu envahissants. Chacun a sa personnalité bien marquée et un rôle à jouer dans le vie de Henry.

L’écriture

J’ai apprécié le style de l’auteure, qui a su se mettre à la place d’un adolescent. Les mots utilisés sont crédibles dans la bouche d’un collégien, sans que le style ne soit trop relâché, l’écriture est bien dosée. On oscille sans cesse entre l’humour et l’émotion, et j’ai pris beaucoup de plaisir à la lecture.

En quelques mots…

Ainsi, c’est un petit roman adolescent qui m’a fait passer un très bon moment, et que j’ai eu du mal à lâcher en cours de lecture. Le thème de fond du roman est difficile, mais l’auteure l’aborde très habilement avec un mélange d’humour et d’émotion. Je me suis facilement attachée à Henry et j’ai suivi son évolution avec beaucoup d’intérêt. Un très bon titre de la rentrée littéraire ado !

Note : 4/5

Stellabloggeuse

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« Quand on est petit, on peut se balader tant qu’on veut la braguette ouverte. On peut dire aux gens toutes les choses bizarres que l’on sait. On peut chanter en public. On peut aller au parc avec un collant blanc par-dessus son pantalon et se prendre pour le Danois ou n’importe quel autre champion de la Ligue planétaire de catch. Je le sais, parce que Jesse et moi le faisions tout le temps, avant. Mais quand on grandit, tout change. On apprend qu’il est préférable de passer inaperçu. Je sais que je ne peux rien changer à mes cheveux bêtement roux ni à mes bêtes tâches de rousseur. En revanche, je peux éviter de me faire remarquer. »