samedi 29 mars 2014

Trois grands fauves, de Hugo Boris : trois destins revisités

[Belfond, 2013]

J’aime l’Histoire et les romans historiques, la quatrième de couverture de ce roman de Hugo Boris m’a donc rapidement intriguée. Sachant que l’auteur sera présent aux Assises Internationales du Roman de Lyon, je me suis donc finalement décidée à le lire.

Résumé

Dans ce livre au carrefour de la biographie et du roman, l’auteur romance et lie les destins de trois figures de l’Histoire, trois « grands fauves » : Danton, Victor Hugo et Churchill. Il leur accorde dans le livre un nombre de pages proportionnel à la durée de leur vie, tandis qu’il sonde leur rapport à la mort et les grandes lignes de leur existence.

Trois destins romancés et liés

L’auteur s’approprie complètement les destins de ces trois figures historiques, n’hésitant pas à les romancer. Ne cherchez pas ici la minutie et l’exactitude historique, ce n’est pas le but de l’auteur. Il s’intéresse plutôt aux concordances entre ces trois destins, les trois hommes ayant frôlé la mort de près dès leur plus jeune âge. Il lie les trois personnages, pointe les concordances dans leurs existences. C’est parfois un peu rapide ou légèrement caricatural, les caractères ayant été poussés à leurs extrêmes, mais cela vaut le détour.

Les personnages

La partie consacrée à Danton est la plus courte. L’auteur s’attache à montrer comment cet homme disgracieux a su conquérir les foules grâce au charisme de sa voix, comment il a acquis une forme de séduction. Vient ensuite Victor Hugo, présenté comme une allégorie d’ogre, qui a écrasé ses enfants de sa personnalité et de son égocentrisme, mais se rattrape sur ses vieux jours avec ses petits-enfants.

L’auteur termine avec Churchill, et c’est la partie qui m’a le plus intéressée. J’ai été touchée par ce géant persuadé que son père ne serait jamais fier de lui, et qu’il mourrait jeune. Cet homme qui ne se sent jamais aussi vivant qu’en pleine guerre, qui est rattrapé par la dépression dès qu’il n’a plus rien à faire et qui tente de la noyer dans l’alcool.

L’écriture

Le style d’Hugo Boris est agréable à suivre, simple mais évocateur. Il parvient à donner vie à ces trois personnages, et notamment à Danton que l’on a l’impression de voir évoluer sous nos yeux. J’ai lu quelque part qu’il avait préparé ce livre pendant plus de dix ans en lisant des livres d’Histoire, et cela se ressent. Il s’est approprié l’Histoire avant de la réécrire.

En quelques mots…

Ainsi, j’ai passé un bon moment avec ce livre qui relie trois grands hommes, chacun dans leur genre. Les portraits sont assez rapides et les caractères exagérés, ne cherchez pas le détail et l’exactitude, mais plutôt les lignes de force qui ont sous-tendu leurs existences. Winston Churchill est celui qui m’a le plus touchée, cela me donne envie de peut-être découvrir ses mémoires.

Note : 3/5

Stellabloggeuse

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« 1792. Au couvent des Cordeliers, à la Convention, il tonitrue. On aime à l’écouter et l’on tremble lorsque son regard pénétrant balaie l’assemblée. Il bat l’estrade, parle debout, jamais assis. Si tantôt il susurre pour vérifier la qualité du silence, c’est pour mieux rugir aussitôt, faire crépiter les mots suivants, déployer cette énergie avec laquelle chaque auditeur vient puiser un élan. La voix est l’organe dont il est le plus fier, celui sur lequel il bâtit son œuvre impalpable. »

« C’est à ce jeune homme de vingt-quatre ans, ce correspondant du Morning Post, que le machiniste, le capitaine et les majors ont abandonné la conduite des opérations de sauvetage. A lui que tous les hommes obéissent, effrayés par son courage. Ce matin, quand le train filait sur ses rails et que tout allait bien, personne ne le remarquait. A présent, on ne voit que lui. Il est là, entier dans la bataille, ressuscitant le courage avec cet entêtement et ce grain de folie qui vont mal aux temps ordinaires mais si bien à ceux de danger. Dans le péril, il a suffi que ce jeune inconnu veuille avec fermeté pour que des hommes, simples soldats, officiers ou civils, aient envie de le suivre. »

jeudi 27 mars 2014

Indiana Teller, tome 4, de Sophie Audouin-Mamikonian : Lune d’hiver, un final convaincant

[Michel Lafon, 2014]

*Attention, il s’agit du dernier tome d’une saga, présence de spoiler sur les volets précédents*

La saga « Indiana Teller » de Sophie-Audouin Mamikonian m’a régalée avec les trois tomes précédents, « Lune de printemps », « Lune d’été » et « Lune d’automne ». J’avais particulièrement apprécié ce dernier, qui avait atteint selon moi des sommets d’humour. Aussi, j’attendais avec une grande impatience ce quatrième et dernier tome. Il sort aujourd'hui en librairie !

Résumé

Contre toute attente, Indiana a triomphé de Mordred et les vampires dirigés par Annabelle sont maintenant les amis de la meute. Pourtant, les ennuis ne sont pas terminés pour le jeune humain. Sa mère, toujours détenue par Brandkel, lui donne un délai de sept jours pour la retrouver avant de disparaître. Katerina est rattrapée par son manque de confiance en elle et se défie de lui. Enfin, Tyler disparaît mystérieusement de sa prison, laissant supposer l’implication des sorciers. Indiana va-t-il encore une fois sauver sa meute et le monde ?

Un tome drôle et efficace

Cet ultime tome est fidèle est la recette qui a fait le succès des précédents, à savoir une intrigue trépidante, qui nous mène de rebondissement en rebondissement. Impossible pour le lecteur de savoir où Indiana va le mener ! Il m’a néanmoins semblé que l’intrigue était un peu moins cohérente que dans les autres tomes, qu’elle partait davantage « dans tous les sens » sans grand fil conducteur. Mais la fin est tout à fait convaincante et ne m’a pas frustrée, même si elle arrive très vite.

De même, l’humour est toujours bien présent, l’auteure s’amuse comme une petite folle avec les codes du fantastique et avec les personnages légendaires, et l’on prend beaucoup de plaisir si on lit cela au second degré. Par exemple, dans ce tome, elle s’approprie le personnage de Merlin. J’ai toujours un penchant pour Excalibur, l’épée qui parle sans mâcher ses mots ! Je dois cependant avouer que ce dernier tome fonctionne un tout petit peu moins bien, peut-être y a-t-il un brin de lassitude de ma part après quatre tomes reposant sur les mêmes mécanismes.

Les personnages

Indiana est un personnage qui m’a toujours beaucoup plu, je suis sensible à son autodérision et à son intelligence. Il est de plus en plus sûr de lui après les obstacles qu’il a franchi, et il finira par s’assumer entièrement dans ce tome. Mais peut-être devient-il un peu trop parfait à mon goût ! Quant à Katerina, si je l’avais appréciée dans le troisième tome, elle a recommencé à m’agacer, je ne m’étendrai pas sur son cas. Il n’y a pas de personnage secondaire qui se dégage vraiment dans ce dernier tome, particulièrement centré sur Indiana.

L’écriture

La plume de l’auteure reste fidèle à elle-même, vive et directe. Le style est simple et efficace. L’humour est toujours très présent, ainsi que de nombreuses références culturelles. On ressent dans son écriture la joie de vivre de Sophie Audouin-Mamikonian, et je trouve cela réjouissant.

En quelques mots…

Ainsi, malgré une intrigue un poil moins cohérente et peut-être un brin de lassitude de ma part, Sophie-Audouin Mamikonian offre un final digne de ce nom à Indiana Teller, une saga un peu barrée, mais tellement rafraîchissante et originale. Cela a été un vrai plaisir de voir évoluer Indiana, personnage drôle et intelligent, tout au long de ces quatre tomes. On s’amuse beaucoup de voir l’auteure s’approprier et transgresser les codes du fantastique. Si vous recherchez une saga fantastique drôle et sortant des sentiers battus, c’est celle-ci qu’il vous faut !
Je remercie chaleureusement Camille et les Editions Michel Lafon pour l’envoi de ce dernier tome.

Note : 3,5/5

Stellabloggeuse

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« Le cercle se referma sur nous. Tyler ne voulait courir aucun risque. Il savait à quel point je pouvais être dangereux, armé. Alors il m’avait confisqué toutes mes lames. Même si je pouvais disparaître et réapparaître derrière son dos, sans rien d’autre que mes pauvres dents et mes ongles, tout cela n’allait pas servir à grand-chose. […] je déglutis. Il me regarda. Et je vis ma mort dans ses yeux. »

« J’étais déjà terrifié avant. Il n’arrangeait pas les choses.
-Alors, je vais vous répondre ce que m’a toujours dit mon grand-père : il n’y a pas de héros. Il y a juste des gens ordinaires qui se retrouvent confrontés à des choses extraordinaires, et réagissent d’une façon extraordinaire. »

« -Dites les gars, lançai-je aux sorciers, ce serait peut-être bien d’arrêter de jouer chacun dans son coin et de frôler la catastrophe, non ? Les vampires sont super puissants et super individualistes, et les meutes pareil. Résultat des opérations, on a failli y passer deux fois en une semaine […] Vous ne croyez pas qu’il serait temps qu’on se serre un peu les coudes ? Et que tout le monde soit au courant des problèmes des uns et des autres, histoire de les régler sans que des tas de gens ne meurent entretemps, juste parce que la communication ne passe pas bien ? »

mardi 25 mars 2014

Lettre ouverte aux vivants qui veulent le rester, de René Barjavel : plaidoyer pour sortir du nucléaire

[Albin Michel, 1978]

Si vous me suivez un petit peu, vous connaissez mon amour pour René Barjavel et ses romans, par exemple La Nuit des TempsL’enchanteur ou La charrette bleue qui sont chroniqués sur ce blog. Aujourd’hui, j’ai décidé de le découvrir dans un genre différent avec un essai qu’il a écrit en 1978 contre le nucléaire, un thème qui me préoccupe.

C’est un titre très différent de mes lectures habituelles, et je ne sais pas bien par quel bout le prendre pour vous en parler. Ce sera un billet particulier, qui va mêler le compte-rendu de lecture et la prise de position un brin militante, il est difficile de ne pas prendre position en racontant ce livre. Je vais peut-être me faire prendre à partie, mais tant pis, je l’assume. Je suis plus attachée à la vie humaine et à la survie de la planète qu’à notre confort de vie, c’est comme ça et je n’y peux rien. Que les pro-nucléaires se rassurent, ceux qui pensent comme moi sont trop innocents et trop peu nombreux pour que leur avis compte.

Quoi qu’il en soit, j’ai décidé de partir de quelques citations marquantes (les passages en gras le sont aussi dans le livre) et de les commenter pour vous.

« A l’intérieur, quelque part, dans le cerveau peut-être, on n’en est pas si sûr, se trouve notre esprit, abrité, entretenu, porté par lui. Cet esprit, qui n’est pas capable de commander à une seule cellule de son corps, peut contempler l’univers par les fenêtres des sens, comprendre les mouvements des étoiles et imaginer l’infini. Voilà l’être humain. Vous êtes cela. Vivant. »

En effet, ce que je retiendrai avant tout de cet essai, c’est l’amour de la vie qui animait Barjavel et que l’on ressent bien souvent dans son œuvre. Il considérait la vie comme un miracle précieux et ne comprenait pas que l’on puisse mettre cela en danger.

« Et ils font abstraction de la durée. Pour eux, demain est un autre aujourd’hui, impeccable comme lui. Alors que la succession des jours et des années apporte une succession de possibilités de  défaillances des hommes et des machines. C’est pourquoi il faut trouver le moyen de stopper le nucléaire le plus vite possible, après avoir été obligé de faire appel à lui. Sinon, si le nucléaire dure, un jour ou l’autre, un accident grave se produira. C'est inéluctable. »

Barjavel montre ici beaucoup de clairvoyance, comme il l’a fait dans son roman « Ravage » écrit au début des années 1940, où il imaginait notre future dépendance à l’électricité et le chaos que pourrait provoquer sa disparition. Ici, en 1978, huit ans avant la catastrophe de Tchernobyl, il prophétise un accident grave, et il avait raison…

« Un chef de parti, de droite ou de gauche, ou un militant ambitieux, ne présente jamais les faits tels qu’ils sont mais tels qu’ils peuvent le servir, ou servir son parti, ou desservir ses adversaires. Si on lui pose sur un point concret une question précise, il ne se tait pas : il répond à côté. Il a l’air de répondre, d’avoir dit quelque chose et il n’a rien dit. Il ment dès qu’il ouvre la bouche. Il ne peut plus faire autrement. Le mensonge est devenu sa respiration. Il est tellement imbibé de ses propres mensonges et de ceux dont ses partenaires l’accompagnent et ses adversaires l’assaillent qu’il finit par ne plus rien savoir de la vérité, ni même s’il existe une vérité quelque part. »

Dans ce passage qui m’a fait sourire, Barjavel montre sa méfiance envers les hommes politique. Son discours pourrait être prononcé aujourd’hui, il est plus que jamais d’actualité. En revanche, dans un autre passage, il montre trop de foi envers les écologistes de l’époque, qui n’étaient pas encore très politisés. Il pensait qu’il fallait voter en masse pour eux, pour obliger les hommes politiques à prendre en compte les considérations écologistes et changer les choses. On sait aujourd’hui que les écologistes sont des hommes politiques comme les autres, incapables d’agir pour le bien commun.

« Pour éviter ce séisme de la société, bien plus grave que le plus grave des tremblements de terre assorti de peste noire, pour éviter le retour brutal à une vie sauvage et barbare, et non, comme l’espèrent certains, à un primitivisme idyllique, il faut donc avoir recours au nucléaire monstrueux, mais en préparant dès maintenant son remplacement. Le nucléaire remplacera le pétrole mais il doit lui-même être remplacé dans le plus bref délai. »

René Barjavel ne défendait pas une pensée extrémiste. Il considérait que le monde avait besoin du nucléaire, pour éviter une pénurie de pétrole qui aurait mis à mal les sociétés. Mais il pensait d’ores et déjà à l’après, au développement des énergies renouvelables. Dans cet essai il propose quelques pistes, admet les limites de l’éolien et de l’hydraulique, place ses espoirs dans une géothermie plus profonde. Cette partie est intéressante mais datée, les technologies ont beaucoup évolué.

« Car on sera bien obligés d’arrêter le nucléaire. Si on ne le fait pas en exécution d’un plan précis, on devra le faire dans la hâte et le désordre, sous la pression de la peur engendrée par l’invasion des déchets, ou en catastrophe, après le premier accident grave. L’accident se produira inévitablement. Peut-être dans trente ans. Peut-être demain. Dans l’espoir que ce ne soit pas demain, l’évidence et la prudence commandent de le rendre impossible après-demain. »

Là encore, Barjavel se montre trop optimiste en pensant qu’un accident grave conduira à l’arrêt du nucléaire. Il n’a pas vécu assez longtemps pour voir Tchernobyl et Fukushima, il n’aura pas vu à quel point on a vite balayé nos peurs au nom de l’économie mondiale. Enfin, il rappelle dans son essai qu’au-delà des accidents, il y a le problème des déchets. Au début de l’ère nucléaire, on a enfoui les déchets dans des coffrets en métal et en béton, et on les a jetés à la mer. Un jour, invariablement, dans cent, deux cent ans, ils s’effriteront, libéreront leur substance dans les eaux. Cette partie fait froid dans le dos.

En quelques mots…

Ainsi, c’est un essai un peu daté, notamment en ce qui concerne les technologies, mais qui reste très intéressant à lire. Il met la vie au premier plan, ce que nous ne sommes pas capable de faire. Il nous montre un Barjavel visionnaire qui promet des accidents graves et qui songe déjà au remplacement du nucléaire. Il rappelle le problème les déchets. Le tout avec une plume agréable et des touches d’humour bienvenues, même si on ne retrouve pas le ton qui lui est propre dans ses romans. Ici, il s’adresse plus directement à son lecteur, comme s’il discutait avec lui.

Note : 3,5/5
Stellabloggeuse

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Ce titre fait partie des challenges :


Challenge ABC 2014 : 5/13




Challenge New PAL 2014 : 16/20

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Et une dernière citation pour la route :

« […] les techniques les plus exquises de l’électronique, de l’optique et des ondes permettent d’envoyer tourner autour de la Terre deux mille satellites qui repèrent, photographient, agrandissent et classent les objectifs de la prochaine guerre générale, que personne ne veut  et tout le monde prépare, et en attendant laquelle la moitié des peuples meurt de faim tandis que l’autre moitié regorge de tout en gémissant sur son infortune. »

samedi 22 mars 2014

La jeune fille à la perle, de Tracy Chevalier : un roman minutieux et délicat


Cela faisait déjà un petit moment que des admirateurs/trices des romans de Tracy Chevalier, notamment Juliah, m’encourageaient à découvrir cette auteure. J’ai donc commencé par son roman le plus célèbre « La jeune fille à la perle », dans l’idée de visionner ensuite son adaptation cinématographique.

Résumé

Dans la Hollande du XVIIe siècle, au sein de la paisible ville de Delft, la famille de Griet rencontre des difficultés financières depuis que son père, qui était faïencier, a été rendu aveugle par l’explosion de l’un de ses fours. Agé de dix-sept ans, Griet doit se résigner à devenir servante. Elle est embauchée par la famille du peintre Vermeer, dans le quartier catholique de la ville. Griet doit faire face à un nouveau milieu, une nouvelle religion, un travail épuisant et la perfidie de l’une des enfants de la maison. Elle trouve cependant du réconfort dans l’attention que lui accorde le peintre, qui la fait peu à peu entrer dans son univers.

Le réalisme historique et artistique

J’ai apprécié ce roman pour la minutie du travail historique et artistique. En effet, le contexte historique et les nombreux passages dédiés à la peinture sont restitués avec beaucoup de réaliste. On s’y croirait, véritablement, et c’est là la grande force de ce roman. On fait réellement partie de la ville, on visualise sa place du marché, son cours d’eau. On a la sensation de voir Griet réaliser ses tâches ménagères. Les passages dédiés à l’activité de peintre de Vermeer m’ont particulièrement plu et cela donne envie de voir ses tableaux.

Un manque d’émotions

En revanche, si j’ai aimé le roman et que j’ai eu la sensation d’en voir défiler les images devant mes yeux, je n’ai ressenti aucune émotion particulière, même devant les passages tristes. La raison en est simple, je ne me suis attachée à aucun des personnages, j’y reviendrai plus bas. De plus, le début du roman suggère que Griet a des petits problèmes psychologiques, des sortes de toc, une peur des gens. Or, dès lors qu’elle travaille chez les Vermeer, cela disparaît complètement, ce que j’ai trouvé un peu étrange.

Les personnages

Comme je le disais un peu plus haut, aucun personnage n’a suscité ma sympathie. Griet est très neutre tout du long, presque froide, elle calcule beaucoup et presque rien ne l’atteint vraiment. Le peintre Vermeer est profondément égocentrique, sa femme Catharina et la bonne Tanneke sont jalouses, la famille de Griet est rigide et méfiante. Seul le boucher Pieter apporte un peu de sincérité et de spontanéité là-dedans.

L’écriture

J’ai apprécié l’écriture (la traduction) de Tracy Chevalier, à la fois simple, délicate et précise. Elle parvient à recréer une ambiance, une époque. En revanche, puisqu’on parle de la forme, je regrette que l’édition Folio que j’ai eu en main comporte pas mal de coquilles.

En quelques mots…

Ainsi, j’ai apprécié ce roman de Tracy Chevalier pour la précision de son contexte historique et des passages dédiés à la peinture, et pour son style agréable. Je n’ai, en revanche, pas adhéré à ses personnages et n’ai de fait pas ressenti d’émotion particulière à la lecture. Néanmoins, je suis contente de cette découverte.

Note : 3,5/5

Stellabloggeuse

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« Toutes ces années passées à aller chercher de l'eau, à essorer des vêtements, à laver par terre, à vider des pots de chambre, sans espoir d’entrevoir la moindre beauté, couleur ou lumière dans ma vie, défilèrent devant moi comme une immense plaine, au bout de laquelle on apercevait la mer sans jamais pouvoir l'atteindre. S'il m'était plus possible de travailler avec les couleurs, s'il ne m'était plus possible d'être auprès de lui. je ne savais comment je pourrais continuer à travailler dans cette maison. »

« -Votre maître est un homme exceptionnel. Ses yeux valent des monceaux d'or mais parfois il voit ce monde tel qu'il voudrait qu'il soit et non tel qu'il est vraiment; Il ne comprend pas que son idéalisme puisse affecter son entourage. Il ne pense qu'à lui-même et à son travail et non pas à vous. Vous devez donc veiller à rester vous-même.
-A rester une servante ?
-Non ce n'est pas ce que je voulais dire. Les femmes qu'il peint deviennent prisonnières de ce monde. Vous pourriez vous y perdre. » 

mardi 18 mars 2014

La ligne verte, de Stephen King : oppressant et humain

[Librio, 1996]

Jusqu’à maintenant, je n’avais encore jamais lu quoi que ce soit de Stephen King, un auteur qui me faisait un peu « peur », sans bien savoir pourquoi. J’ai pourtant acquis « La ligne verte » en librairie d’occasion, l’édition de 1996 découpée en six petits épisodes, à la manière des romans feuilletons du XIXe siècle. Une séance du club de lecture lyonnais dédiée aux livres adaptés en film m’a permis de le lire enfin.

Résumé

Dans une maison de retraite, à un âge très avancé, Paul Edgecombe se souvient. En 1932, il est le gardien en chef du bloc E au pénitencier de Cold Mountain, la prison d’Etat où l’on procède aux condamnations à mort. Sur le bloc et l’ensemble de ses occupants plane la présence inquiétante de la chaise électrique, surnommée « La Veuve Courant » ou « Miss Cent Mille Volts ». Avec ses collègues Brutal, Harry et Dean, ils essaient d’accompagner du mieux possible les condamnées à mort le long de la Ligne Verte, le chemin qui mène des cellules à la chaise électrique, en les préservant de Percy, un gardien violent qui n’a que mépris pour ces hommes. L’arrivée dans le bloc de John Caffey, un géant noir étrangement placide, va remettre en cause leur foi dans leurs missions.

Un récit dans le récit

J’ai beaucoup apprécié cette rencontre avec Stephen King, et j’ai trouvé ce romans découpé en épisodes très addictifs. Il y a un récit imbriqué dans le récit, nous suivons de manière alternée le vieux Paul dans sa maison de retraite (cela m’a fait penser sur ce point à « De l’eau pour les éléphants » de Sara Gruen) et le jeune Paul au pénitencier, en 1932. Les deux histoires s’emboitent de manière intelligente et j’ai trouvé le vieux Paul très touchant.

La chaise électrique

La chaise électrique plane sur tout le récit et fait réfléchir les lecteurs sur cette manière de donner la mort qui a été longtemps en pratique aux Etats-Unis. Avec beaucoup de précisions, l’auteur explique comment fonctionne la chaise électrique et la manière dont elle agit sur le corps humain. Certaines scènes sont vraiment saisissantes. Mais dans le même temps, on découvre avec surprise un personnel profondément humain (sauf Percy évidemment), un lieu où l’on ne cherche pas à faire du mal à ces hommes qui n’ont plus rien à perdre, où l’on fait seulement en sorte que leur fin de vie se déroule le mieux possible.

Une touche de fantastique

Enfin, ce roman incorpore une touche de fantastique avec Mister Jingles la souris apprivoisée, les mains de John Caffey et leurs étranges pouvoirs. En cet automne étouffant et orageux, il plane une drôle d’ambiance sur le bloc E, que l’auteur parvient tout à fait à faire partager au lecteur.

Les personnages

Comme je le disais un peu plus haut, j’ai été très agréable surprise par l’humanité du personnel de la prison. Dean, Brutal et Harry m’ont été très sympathiques. Mais logiquement je me suis particulièrement attachée à Paul, qui est le narrateur de cette histoire, à sa femme Janice avec laquelle il a une touchante complicité, à Elaine, sa complice à  la maison de retraite. On s’attache également à John Caffey et on éprouve des sentiments ambigus envers les autres prisonniers, notamment le français Delacroix. Enfin, l’histoire comporte deux « méchants » efficaces, le gardien de prison Percy Wetmore et Brad Dolan qui travaille à la maison de retraite.

L’écriture

J’ai également apprécié la manière dont est racontée cette histoire, avec beaucoup de simplicité. L’auteur réussit à créer une ambiance oppressante mais insuffle aussi une certaine tendresse. Il jongle aisément entre les différentes facettes de son récit. Enfin, je trouve l’exercice de l’écriture « en épisodes » réussie, avec une cohérence dans chaque petit tome et des rappels des faits efficaces.

En quelques mots…

Ainsi, c’est pour moi une première rencontre réussie avec Stephen King. J’ai dévoré ce roman, j’en ai apprécié toute l’humanité mais aussi toute la tension et j’ai été très touchée par Paul, un des personnages les plus estimables que j’ai croisé durant mes lectures. Plusieurs récits s’imbriquent, avec la vie du personnage en maison de retraite, son passé au pénitencier, et la touche de fantastique qui imprègne le tout. Je vais bientôt visionner le film, en prenant bien soin d’avoir des mouchoirs à portée de main !

Note : 4,5/5

Stellabloggeuse

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Ce roman fait partie des challenges :

  


Challenge New PAL 2014 : 15/20
 (Ce roman comptait pour 6 dans ma PAL en raison de son édition en 6 petits tomes distincts)




Big Challenge 2014 : 2/5

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« Ça s'est passé en 1932, quand le pénitencier de l'État se trouvait encore à Cold Mountain. Naturellement, la chaise électrique était là. Ils en blaguaient, de la chaise, les détenus, mais comme on blague des choses qui font peur et auxquelles on ne peut échapper. Ils la surnommaient Miss Cent Mille Volts, la Veuve Courant, la Rôtisseuse. Et de rigoler de la note d'électricité et du directeur Moores, qui devrait passer sa dinde de Noël à la Rôtisseuse, vu que Melinda, sa chère moitié, était bien trop malade pour cuisiner. »

« Ces gens n'étaient pas seulement des contribuables, ils étaient aussi nos clients. Oh, des clients très spéciaux, qui avaient une raison pressante et particulière de venir voir un homme mourir et se convaincre du bien-fondé de la peine de mort. Ces gens, surtout les parents des victimes, avaient vécu un cauchemar, et le but de l'exécution était de leur démontrer que ce cauchemar était terminé. Au prix d'un mort de plus. »

« J'suis fatigué à cause de toute la souffrance que j'entends et que j'sens. J'suis fatigué d'courir les routes et d'être seul comme un merle sous la pluie. De pas avoir un camarade avec qui marcher ou pour me dire où on va et pourquoi. J'suis fatigué de voir les gens se battre entre eux. C'est comme si j'avais des bouts de verre dans la tête. J'suis fatigué de toutes les fois où j'ai voulu aider et que j'ai pas pu. J'suis fatigué d'être dans le noir. Dans la douleur. Y a trop de mal partout. Si j'pouvais, y en aurait plus. Mais j'peux pas. »

samedi 15 mars 2014

Blue Jay Way, de Fabrice Colin : mensonges et illusions

[Sonatine, 2012]

Fabrice Colin fait partie des auteurs que je suis de près depuis que je l’ai découvert avec « Bal de givre à New York ». J’ai également lu son dyptique « 49 jours » et « Seconde vie » dont le premier tome m’avait littéralement bluffée par sa virtuosité et sa richesse. Aussi, j’étais impatiente de le découvrir dans un autre registre, celui du roman policier. Un roman qui a une histoire particulière, puisque je l’ai acheté aux Quais du Polar et que cela m’a donné l’occasion de discuter avec l’auteur, qui est très agréable et accessible, une belle rencontre.

Résumé

La vie de Julien est comme suspendue depuis les attentats du 11 septembre 2001, qui ont coûté la vie à son père. Le mystère de ces attentats ronge Julien depuis plusieurs années, il ne parvient pas à se remettre à vivre sans pour autant se résoudre à rentrer en France. Aussi, il finit par accepter la proposition de l’auteure célèbre Carolyn Gerritsen afin de devenir le précepteur de son fils, Ryan, un jeune homme d’une vingtaine d’années lui aussi en déroute. Il part pour Los Angeles, s’installe à la ville de Blue Jay Way. Il ne réalise pas encore qu’il a mis les pieds dans un panier de crabes, tissé de faux semblants. Mais tout dérape lorsque Ashley, la belle-mère de Ryan, à peine plus âgée que lui, disparaît.

Un roman dense

« Blue Jay Way » n’est pas seulement un polar, c’est un roman très dense qui évoque de nombreux sujets. L’auteur interroge les attentats du 11 septembre. Il brosse également un portrait au vitriol de la jet-set de Los Angeles, dépeint une jeunesse à la gueule de bois perpétuelle et à la sexualité débridée. Ainsi, ce roman se fait aussi étude de mœurs. Il faut ajouter à cela la trajectoire personnelle de Julien, qui n’a plus aucune prise sur son existence. On aborde aussi divers types de psychose au travers de deux histoires parallèles développées au fil du roman, qui se rejoignent à la toute fin.

Le polar prend le dessus à la moitié du roman environ, et tout s’accélère dans les 150 dernières pages durant lesquelles j’ai eu beaucoup de mal à interrompre ma lecture. Ce final alambiqué offre plusieurs rebondissements et le fin mot de l’histoire est laissé à la libre appréciation du lecteur

Un tissu de mensonges

Le narrateur évolue dans un monde de mensonges et d’illusions, quoi de plus normal dans la capitale du cinéma ? La littérature est également présente puisque certains personnages écrivent. Ces deux arts permettent à l’auteur de jouer avec les frontières de la fiction et du réel, le narrateur étant en quête perpétuelle de vérité. A quel point nos vies sont-elles mises en scène ? Pouvons-nous écrire notre propre histoire ? En tout cas, ces faux-semblants créent une atmosphère pesante, une méfiance qui contribue à la tension du roman.

Les personnages

Julien est un personnage complètement paumé qui multiplie les erreurs de jugement. Il n’est pas franchement admirable, mais il n’est pas détestable non plus. Ce qui le sauve à mes yeux, c’est une sorte d’innocence, il ne pense jamais à mal et n’élabore aucune stratégie. Il a peur que le monde cesse de tourner, enrage de ne pas comprendre ce qui est arrivé à son père et s’évade dans la boisson et le sexe irréfléchi. Il est le témoin d’une histoire sur laquelle il n’a aucune prise. Autour de lui gravitent la grinçante Carolyn, son ex-mari Larry, producteur à succès et sa nouvelle femme Ashley, Ryan et ses amis plus étranges les uns que les autres, son avocat Curtis qui veille sur la petite bande.

L’écriture 

J’ai retrouvé avec plaisir la « patte » de Fabrice Colin, un style agréable qui n’en fait pas trop, avec régulièrement de petites envolées lors desquelles sa plume se fait poétique, notamment lors de descriptions. Ici, cette belle écriture côtoie des passages plus crus, en particuliers sexuels, un registre adapté au milieu dans lequel évolue le narrateur. A quoi bon enjoliver un monde et une existence qui n’ont rien d’admirable ?

En quelques mots…

Ainsi, j’ai été convaincue par ce polar d’un auteur que j’admire de plus en plus. « Blue Jay Way » n’est pas un roman facile, il est dense, il faut s’y accrocher pour en saisir toute l’épaisseur, mais il vaut le détour. C’est un bon roman autour du mensonge et de l’illusion. Je continuerai ma découverte de Fabrice Colin avec « La malédiction d’Old Haven » ou « La fin du monde » que je possède, et j’ai aussi très envie de lire son dernier polar « Ta mort sera la mienne ». Et vous ?

Note : 3,5/5
Stellabloggeuse

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Ce roman fait partie des challenges :


Challenge ABC 2014 : 4/13


Challenge New PAL 2014 : 9/20

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« De temps à autre, je levais les yeux au ciel. La nuit qui se déployait sur New-York n’avait plus rien en commun avec l’océan des temps anciens. C’était juste une fatalité désormais, juste une ode fanée aux lumières et aux sirènes, à la puissance fragile des monstres de verre qui s’obstinaient à diffracter son image, et ces ténèbres-là ne recelaient plus de magie : les meilleures histoires avaient été racontées il y a des siècles. »

« Le diagnostic était clair : tout ce en quoi je croyais – le bonheur, une certaine idée de la vérité – s’était effrité sous mes doigts, et j’étais impuissant à y changer quoi que ce soit. […] Je sais que j’ai consacré l’essentiel de mon énergie à essayer de comprendre ce qui s’est passé à Washington le 11 septembre 2001 et que je n’y suis jamais parvenu de façon satisfaisante. Je sais que j’ai perdu pied, et que transformer ma rage et ma souffrance en énergie positive s’est révélé impossible ; je sais aussi que j’aurais pu m’en tirer plus mal encore. »