dimanche 27 mars 2011

Rencontre avec Insa Sané à Grenoble, 18 mars 2011

Aujourd’hui, on rompt avec les traditions : pas de critique littéraire, mais le récit d’une belle rencontre… !


Ce 18 mars, une petite foule de personnes attend à la bibliothèque des Eaux Claires de Grenoble. Toutes les générations sont présentes. Ils accueillent Insa Sané, auteur de 4 romans dans la collection eXprim’, dont le dernier, « Daddy est mort » (voir ma chronique sur ce roman), est sorti à l’automne 2010.

L’auteur arrive, il met tout le monde à l’aise en commençant avec quelques plaisanteries, un ton décontracté. La discussion peut commencer. Questionné par deux bibliothécaires, il aborde différents thèmes.

Ses influences

La première influence qu’il évoque est la poésie, notamment les « Contemplations » de Victor Hugo, qu’il a découvertes à 8 ans. La poésie lui permet d’agrémenter le récit brut. Il ajoute également à son récit de l’oralité africaine. Puis, alors qu’il est au lycée, les débuts du rap arrivent à Sarcelles, et ses amis lui demandent des chansons. Le rap lui permet d’écrire des livres rythmés, d’avoir une écriture actuelle, et de s’adresser aux acteurs de la société d’aujourd’hui : les jeunes. Il est important de mettre à disposition des jeunes des livres auxquels ils peuvent s’identifier. Enfin, Insa Sané s’est essayé au théâtre, qui lui a appris à se mettre dans la peau d’autres gens, pour comprendre le monde, et à donner des émotions.

La Comédie urbaine

Au moment de l’écriture de « Sarcelles Dakar », Insa Sané voulait parler de beaucoup de choses, trop pour un seul livre. Il se lance alors dans une saga, avec des personnages principaux différents selon les romans. On retrouve chaque personnage dans plusieurs livres, avec un regard différent selon le narrateur qui les évoque, et la période de leur vie qui est décrite. Insa Sané aime particulièrement rejouer plusieurs fois la même scène avec différents points de vue, comme dans certains films.

Ses personnages

Il n’y a pas de caricatures dans ses romans, juste des hommes, souvent incapables de dire leurs sentiments. Ses personnages féminins, en revanche, sont volontairement choquants : Insa Sané veut dénoncer l’utilisation de l’image des femmes pour faire vendre des biens de consommation, cette idée que l’on insinue en elle selon laquelle elles devraient utiliser leur corps pour réussir.
La Ville est l’un des personnages principaux de ses romans. Elle renferme une diversité de registres de langues et de sonorités qui lui permettent de rythmer son récit, et de passer d’un univers à l’autre.
La famille est également très présente dans ses livres, avec ses cicatrices.

L’écriture

Quand il écrit, Insa Sané cherche à faire rire, sourire, raconter des oasis de bonheur parmi les difficultés. Il aime les livres qui finissent mal, l’important étant d’avoir pris du plaisir avant la fin. Il aime aussi interpeller son lecteur, le faire participer à l’histoire, comme le font les conteurs africains.

Les cités et les origines

Enfin, la discussion aborde des sujets qui reviennent régulièrement dans l’actualité : les cités, l’immigration. Insa Sané les évoque sans faire de politique, en nous racontant simplement ce qu’il a pu observer au cours de sa vie.
Dans ses romans, il aborde le thème des origines. C’est un thème central pour la jeune génération à qui, selon lui « la mère patrie refuse le sein ». Dans leur pays d’origine, ces jeunes sont des émigrés, des français. En France, ils sont des étrangers. Or dans leur imaginaire, ils ont besoin d’être de quelque part, ce qui fait naître chez eux le fantasme du pays d’origine, qu’ils n’ont pourtant parfois jamais connu. « Sarcelle-Dakar » évoque ce fantasme.
Il nous parle ensuite des cités, le cadre de ses romans, avec ces jeunes dont les parents veulent qu’ils s’en sortent, ne leur donnant pas le droit à l’échec. Il évoque la peur de l’échec, la vision idéalisée du football comme unique moyen de sortir des cités. Il raconte ces cités où il n’y a rien mis à part des tours et des bois, la difficulté de devoir aller à Paris pour étudier. Enfin il rappelle que beaucoup s’en sortent malgré ces faibles moyens, car ils n’ont pas le choix.


Voilà pour le compte rendu de la discussion. Mais Insa Sané ne s’arrête pas là. Il agrémente la rencontre de lectures d’extraits de ses romans, à la manière de slams. Quand il déclame, il vit ses mots, il les laisse le porter. Sa lecture est intense, rythmée. Il vient vous chercher, vous regarde droit dans les yeux, vous emporte avec lui. Insa Sané mêle différentes facettes : l’auteur, l’acteur, le musicien. 

La salle est séduite par cette personnalité si riche. On apprécie sa simplicité, son franc-parler. Il aime parler avec les gens, partager avec eux, et ils le ressentent. Il nous donne matière à réflexion, sur l’écriture, sur l’actualité.

Pas la peine d’en dire plus, à part vous inviter à aller le voir s’il passe par chez vous. On en ressort avec l’envie de lire tous ses romans (si ce n’est déjà fait !), et « un grand sourire de trente-deux quenottes », comme il le dirait si bien…
  
Stellabloggeuse

lundi 21 mars 2011

Les Chagrins, de Judith Perrignon : Quand une femme accouche en prison

[Editions Stock, août 2010]


Je vais vous parler aujourd’hui d’un premier roman très réussi : « Les chagrins », de Judith  Perrignon. Dans ce roman, l’auteur évoque une femme, Helena, qui a purgé 5 ans de prison pour couvrir l’homme qu’elle aimait. Mais en prison, elle a également eu un enfant de lui, la petite Angèle.

Cette dernière ne sait pas qu’elle est née en prison, elle ignore tout de ses origines. Lorsqu’elle était petite, sa grand-mère lui disait que sa maman était dans un château, et qu’elle reviendrait bientôt. A son retour, Helena est une femme froide, incapable du moindre sentiment. Lorsque Helena meurt, Angèle découvre alors le passé de sa mère, et part sur les traces de son père.

L’originalité de cette histoire est d’être racontée par plusieurs voix. Les personnages s’expriment tour à tour : Mila (la grand-mère), Angèle, un vieux journaliste qui a pris Helena en affection, et enfin Tom, le père d’Angèle. Ils s’expriment par plusieurs moyens comme la lettre, ou le dialogue. A travers eux, le lecteur découvre l’histoire par petites brides. Chacun l’a vécue à sa façon, et c’est ce qui fait tout l’intérêt du roman. L’auteur mène bien son histoire.

Cette histoire met en avant les regrets des personnages, les erreurs qu’ils ont faites durant leur vie : leurs chagrins, d’où le titre du roman. Malgré cela, le roman n’est pas pesant, car il montre que chacun a eu droit à sa part de bonheur durant son existence. A nous de savoir profiter de la nôtre.

En résumé, voici une bonne lecture, qui sort de l’ordinaire et qui vous livre quelques tranches de vie.

Note : 3,5/5
Stellabloggeuse

Pour en savoir plus sur Judith Perrignon : récit d'une rencontre avec elle au Printemps du Livre de Grenoble.

dimanche 6 mars 2011

Le Dévastateur, de Rolland Auda : un roman explosif !

[Editions Sarbacane, mars 2011]

Voici un livre que j’avais attendu avec impatience : la page Facebook dédiée à ce roman (vous y trouverez pleins d'infos, et des extraits du roman), tout comme la bande-annonce concoctée pour le promouvoir m’avaient mis l’eau à la bouche. Avec tant d’attentes, le risque de déception était plus élevé que la moyenne…et bien non ! Ce roman vaut vraiment le coup !

Cet ovni est assez difficile à résumer (et ce serait dommage de vous gâcher toutes les bonnes surprises du livre), mais je vais tout de même tenter de vous faire un « pitcheuh », comme dirait l’auteur. Rolland Auda met en scène une galerie de personnages :
Diego, le gamin des rues qui parle le Ouinche (mélange d'occitan, verlan, anglais, et d'autres encore!) et qui t’emmerde ;
Orson et Rita, les héritiers des puissants de la ville, qui se prennent pour Bonnie and Clyde ;
Dédé la Françouille, journaliste gouailleur, toujours accompagné d’un hérisson de compagnie ;
Le Dévastateur, qui rend la justice divine affublé d'un masque de catcheur ;
Anémia, féline jusqu’au bout des ongles
… et bien d’autres encore !
Pour les réunir, deux évènements centraux : le mariage méga-médiatique d’Orson et Rita, et une enquête sur des meurtres en série frappant les gamins des rues.

Rolland Auda tisse sa toile, et maîtrise impeccablement la narration de son histoire. Suspense, surprises, action, tout s’enchaîne avec naturel. Rolland Auda n’est plus seulement un auteur avec ce roman, mais un metteur en scène : son écriture évocatrice permet au lecteur de visualiser l’action, et il maintient une tension dramatique tout au long du roman (difficile de le lâcher !). Il joue avec des références cinématographiques, musicales, religieuses, philosophiques…mais également avec la mise en page de son roman, glissant ça et là quelques planches de bandes dessinées, enregistrements sonores, notes gribouillées sur un calepin de journaliste, et même un petit atelier d’écriture !

Petit bémol, le Ouinche parlé par les enfants des rues peut décourager le lecteur qui piétine sur les mots (mais en vérité, on s’y habitue assez vite !). Et enfin, de manière toute personnelle, j’admets ne pas avoir suffisamment de culture cinématographique pour apprécier pleinement les trouvailles de l’auteur, et il peut être assez frustrant de passer à côté. Néanmoins, « Le Dévastateur » est un roman à lire, pour son audace, son punch, son suspense, et toutes sortes d’autres ingrédients. Ouvrez grand les mirettes, la séance commence !

Petit bonus, pour accompagner votre lecture : la playlist du Dévastateur !

Note : 3,5/5 
Stellabloggeuse

En guise de mise en bouche, une déclaration d’amour en Ouinche :

« C’est l’amour, drolla, qui m’a chouchouigné d’venir lo… L’amour, y m’a prêté sa bola, et j’y ai baillé mes œillères ! …. Mire, la mer ! Kodak, j’suis po un pilote de cargo, beute si t’étais perdue piou loin que l’horizon, je risquerais mon tafanari au milieu des rascasses, et j’raiderais hasta l’Africa pour manjuquer une drolla pareille ! »