mardi 28 juin 2011

La petite dernière, de Myriam Cohen-Welgryn : un deuil d’enfants

[Arléa, décembre 1998]

Me voilà avec un premier roman tout en douceur et en délicatesse, paru il y a maintenant une dizaine d’années. Dans « La petite dernière », Myriam Cohen-Welgryn nous raconte le deuil de deux enfants qui ont perdu leur petite sœur, avec sensibilité, mais sans appitoiment.

Les personnages ne sont pas nommés, mais désignés par leur fonction dans la famille, comme dans le Jeu des Sept Familles : le père, la mère, l’ainé, la cadette, et la petite. La partie commence. Tout d’abord, quelques scènes pendant lesquelles le jeu de carte est au complet, des souvenirs joyeux : un pique-nique, un jeu, des disputes entre frères et sœurs. Puis, l’accident, raconté très simplement, puis revu plusieurs fois à travers les yeux des enfants.

Commence alors une nouvelle partie, avec une carte manquante. Voilà le temps du deuil pour les deux enfants. Tous les deux, ils se sentent coupables : la grande sœur qui avait promis de bien lui tenir la main ; le grand frère qui pense qu’il n’a pas été assez gentil avec la petite et n’en dort plus la nuit.

Pendant longtemps, ils se racontent des histoires, avec une naïveté touchante. Ils guettent leur sœur dans le ciel, ou l’imaginent dans une famille plus gentille. Ils imaginent des rites indiens pour faire passer la douleur de leurs parents. Les autres enfants, eux, leur assènent sans délicatesse cette vérité qu’ils ne sont pas prêts à entendre, en une phrase claire : « ta sœur est morte ».

Ce roman raconte leur deuil, leur cheminement pour enfin admettre que la petite n’existe plus que dans leur cœur, et reprendre le cours de sa vie sans elle. Myriam Cohen-Welgryn le fait avec talent, en nous donnant des yeux d’enfants. On sourit souvent à la lecture, malgré la gravité du sujet. On est ému aussi. Le seul petit bémol que j’ai à soulever consiste en des répétitions, lorsque, à plusieurs reprise, les enfants évoquent la place de leur sœur dans le ciel.

Mais elles sont finalement compréhensibles : les enfants ont besoin d’en parler souvent, de répéter les mêmes choses, car ils ne comprennent pas l’absence de leur sœur. Ils ont besoin de trouver une explication qui leur paraît plausible, et de s’en convaincre. Ainsi, l’auteur montre la difficulté d’expliquer la mort aux enfants, et les malentendus qui peuvent en résulter. En effet, pour accepter la mort de leur sœur et la laisser partir, ils doivent aussi la comprendre.

En résumé, c’est un beau roman qui aborde en finesse un sujet délicat. Un joli moment à passer…

Note : 3,5/5 

Stellabloggeuse
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« Il faut regarder le ciel à l’infini et le couvrir des yeux. On dit qu’on peut attendre des jours, des mois, des années, tu ne sais jamais à l’avance. Et puis un jour, tu regardes et tu comprends. Elle est là et tu la reconnais. Tu la distingues entre toutes les étoiles à sa couleur, à sa forme, à son éclat. Elle te fait signe et c’est indiscutable. Quand elle aura terminé son voyage et se sera transformée en lumière, la petite, elle projettera nos ombres sur le sol, tu verras. »

lundi 20 juin 2011

Sarcelles-Dakar par Insa Sané : voyage initiatique de la banlieue parisienne à l’Afrique

[Sarbacane, octobre 2006]

Après avoir lu et beaucoup aimé le dernier roman d’Insa Sané, « Daddy est mort », paru à l’automne 2010 (voir la chronique corrrespondante ici), c’est une rencontre avec l’auteur qui m’a donné envie de découvrir « Sarcelles-Dakar », le premier volume de sa saga urbaine.

Dans ce roman, Insa Sané nous emmène en voyage. Nous rencontrons Djiraël, jeune sarcellois d’une vingtaine d’années, qui traîne sa carcasse d’ennui en petites combines, et dont le plus grand plaisir est de collectionner les filles. Trois mois auparavant, le père de Djiraël est mort, et sa dépouille a été rapatriée au Sénégal. La mère de Djiraël décide donc d’aller lui rendre un dernier hommage.

Djiraël n’est pas enchanté par ce voyage, mais il découvre cependant peu à peu ce pays où il est né, qui lui est peu familier. Insa Sané entraîne son héros et le lecteur dans un voyage initiatique qui lui fait parcourir une partie du Sénégal, pour se réconcilier avec son passé, ses origines.

C’est un roman très agréable à lire, dont l’action se déroule de manière très naturelle. On est immédiatement « dedans » : le personnage est touchant, on veut aller jusqu’au bout de l’aventure avec lui.

Il nous fait réfléchir également, et nous éclaire sur la vie d’un jeune immigré dans les cités parisiennes. Ici, il est vu comme un étranger. Mais surtout, Djiraël subit les pressions de sa famille, qui veut qu’il réussisse à tout prix, qu’il saisisse sa chance. Mais il vit également les mêmes choses que tous les jeunes hommes de son âge : les incompréhensions entre garçons et filles, traitées avec beaucoup d’humour, où la difficulté d’exprimer ses sentiments (en famille comme en amour).

En Afrique, Djiraël est vu comme un privilégié, un « Francenabé ». Ses cousins n’hésitent pas à réquisitionner ses vêtements de marque ! Djiraël découvre une toute autre misère que celle des cités : « Je voyais des mômes qui n’avaient plus l’air d’être de enfants, alors je me suis dit qu’ici les enfants devaient naître vieux. Ça m’a foutu les boules. »

A la manière d’un conteur africain, Insa Sané nous apprend à mieux connaître le Sénégal. Il évoque l’incompréhension des sénégalais enrôlés dans la Première Guerre Mondiale, inconscients d’avoir une patrie nommée « la France ». Mais surtout, il restitue l’importance de la magie, qui imprègne la vie quotidienne, et qui rendra à Djiraël un peu d’espoir, de foi.

« Les contes, c’était pour les enfants, et la foi pour les faibles. En réalité, mon vrai problème, avant ma rencontre avec Kadiom, c’est que j’avais perdu la foi. J’avais d’abord arrêté de croire en l’amour de mon père. Ensuite, j’avais cessé de croire en moi. Et puis, j’avais fini par ne plus croire en rien ni en personne. »

Je n’ai plus grand-chose à ajouter, à part souligner une nouvelle fois la belle écriture de cet auteur, tantôt « brut de décoffrage » et naturelle, tantôt poétique et envoûtante. Rythmée, quoi qu’il arrive. Parfois lyrique, comme dans cet extrait où il compare la vie humaine à une vague :

« Nourrie d’abondance, la vague ondule,fluide, diffuse et presque insouciante. Elle flâne, joyeuse, innocente et turbulente ; le ciel l’embrasse de ses lèvres bleues. […] Les chatouilles de la brise lui soutirent un éclat de rire. Elle monte et elle descend. C’est l’âge espiègle où l’aube brille de mille promesses. »

Je vous laisse sur ces bons mots, en vous invitant à découvrir de toute urgence cet auteur humain, réaliste, drôle et sensible (oui, rien que ça !).

Note : 4/5 
Stellabloggeuse

mercredi 15 juin 2011

La vie très privée de Mr Sim, de Jonathan Coe : introspection d’un attachant raté

[Gallimard, février 2011]

Après avoir chroniqué le diptyque "Bienvenue au club", me voici aujourd'hui pour vous présenter le tout dernier roman de Jonathan Coe, dans lequel il renoue avec l’humour un peu grinçant que j’aime particulièrement chez lui.

Dans « La vie très privée de Mr Sim », il met en scène Maxwell, un presque quinquagénaire solitaire, dépressif depuis que sa femme, Caroline, est partie 6 mois plus tôt. Max est assez doué dans son métier de vendeur, mais, en ce qui concerne les relations humaines, il a plus de mal. Il a perdu un certain nombre d’amis, et ne parvient pas à nouer de véritables liens avec son père.

Cependant, sa vie va être bouleversée par une série de rencontres : une chinoise et sa petite fille à la complicité fascinante dans un restaurant australien, la jeune Poppy qui exerce l’étonnant métier de facilitratrice d’adultère, Miss Erith, qui pleure la disparition de l’Angleterre de son enfance, mais aussi Emma, le GPS de la Toyota Prius qu’il conduit pour aller vendre des brosses à dents écologiques à l’autre bout de l’Angleterre.

Ce livre est une introspection très réussie du personnage principal. Pour nous aider à mieux le comprendre, Jonathan Coe promène le lecteur entre passé et présent, et met petit à petit le puzzle en place. Il met le doigt sur ses failles, les épisodes du passé qui le hantent, mais il le traite avant tout avec humour et tendresse. Voilà pourquoi Maxwell Sim, qui a pourtant tout raté ou presque dans sa vie, est extrêmement attachant. Au fil des rencontres, Max apprend lui aussi à se connaître, et sans aller jusqu’à s’aimer, à s’accepter.

Jonathan Coe rend le roman agréable à lire en distillant régulièrement des touches d’humour, notamment en faisant dialoguer le personnage principal et son GPS, Max se félicitant d’avoir enfin trouvé une femme qui reste calme et constante en toutes circonstances ! Certains passages sont ainsi très drôles. L’auteur reste également fidèle à lui-même en menant un certain nombre de réfléxions sur le devenir de la société anglaise, et sur la situation difficile de la jeunesse :

« J’en ai marre d’entendre dire que ma génération a perdu ses repères, qu’elle est matérialiste, qu’elle n’a plus de projet politique. […] C’est la faute de votre éducation si nous sommes des zombies consuméristes. Vous avez bazardé toutes les autres valeurs, non ? Le christianisme, rien à foutre. La responsabilité collective, on voit où ça mène. Produire, fabriquer ? C’est bon pour les losers. Ouais, on n’a qu’à aller les chercher en Asie ; ils vont tout faire à notre place et on n’aura plus qu’à rester le cul devant la télé pour voir le monde partir en vrille, le tout sur grand écran et avec la HD, bien sûr ».

Enfin, Jonathan Coe nous fait réfléchir sur le travail de l’auteur, la construction d’une fiction, et n’hésite pas à se moquer de lui-même :

« Fabriquer des contes pour gagner sa vie, vous ne trouvez pas que c’est une activité peu reluisante ? Il faut voir les choses en face, vous n’êtes plus un perdreau de l’année. Pourquoi ne pas écrire quelque chose de plus sérieux ? De l’histoire, des sciences… »

Je vous laisse sur ces bons mots, en vous recommandant chaudement cette lecture !

Note : 3,5/5 
Stellabloggeuse

jeudi 9 juin 2011

Verte, de Marie Desplechin : une histoire de sorcières, mais pas que !


Aujourd’hui, on remonte loin en enfance ! Avec « Verte », de Marie Desplechin, un roman que j’ai découvert à la fin de l’Ecole primaire. Je l’ai volé récemment dans la bibliothèque de mon petit frère, et j’ai pris plaisir à le relire.

Verte, est âgée de 11 ans, plus tout à fait une enfant, pas encore une ado. Mais surtout, c’est une sorcière. Sa mère, Ursule, guette avec impatience les premiers signes du développement des pouvoirs de Verte, qu’elle rêve de façonner à son image. Mais Verte, elle, veut juste être comme les filles de son âge, et plus tard se marier. Lorsque, un beau soir, ses pouvoirs se manifestent, elle est furieuse. Entre elles, Anastabotte, la grand-mère, fait de son mieux pour calmer les ardeurs d’Ursule, et aider Verte à bien vivre sa condition de sorcière.

La particularité de ce roman est d’adopter le point de vue de chaque personnage : Verte, Ursule, Anastabotte, et Soufi (l’amoureux de Verte). Les évènements sont racontés plusieurs fois, avec ces points de vue différents. C’est un peu répétitif, mais plutôt intéressant, car cela permet d’aborder plusieurs thèmes. Verte évoque sa volonté d’être normale, Soufi nous restitue la perplexité des jeunes garçons face à l’espèce féminine. Quant à Ursule, elle nous donne son avis sur le rôle d’une mère :

« Sur terre tout le monde a le droit de se plaindre. Les hommes, les femmes, les jeunes, les vieux, les animaux eux mêmes se plaignent. De l'excès d'amour, de l'absence d'amour, de la famille, de la solitude, du travail, de l'ennui, du temps qui passe, du temps qu'il fait... Le monde râle, c'est ainsi.Parmi toutes les espèces, il en existe une pourtant qui n'a pas le droit de se plaindre. Une seule. L'espèce des mères »

Ce roman est avant tout un conte fantastique, mais il ne s’arrête pas là. Il traite du délicat passage de l’adolescence, avec les incompréhensions qui naissent entre enfants et parents. Il évoque l’absence d’un père, et la recherche de celui-ci. Mais surtout, il aborde la différence, et la recherche d’identité, thèmes plus qu’actuels.

Alors oui, n’hésitez pas, prenez une heure pour retourner en enfance avec Verte…

Note : 3,5/5 
Stellabloggeuse

vendredi 3 juin 2011

La Mort J’adore, saison 2, d’Alexis Brocas : L’Enfer n’est pas si loin !

[Editions Sarbacane, janvier 2010]

Je boucle aujourd’hui la critique de la saga « La Mort J’adore », avec le deuxième tome (j'ai lu la saga dans le désordre...!). Rappel : cette saga, créée par Alexis Brocas, compte trois tomes, dont l’héroïne est Clémence, une attachante démone adolescente.

Pour vous rafraîchir les idées, voir ma chronique sur le premier tome : cliquez ici.

Dans ce second tome, Clémence a bien changé. Elle a appris qu’avant de devenir une démone, elle est née parmi les anges, et qu’elle possède des pouvoirs des deux espèces. Cette double compétence apparaît comme un avantage aux Enfers : la voilà promue démon d’élite, amenée à combattre les anges. Sa mission : éliminer les derniers anges sur Terre ! Elle se donne également une mission personnelle : reconquérir le beau Ronald dont la mémoire a été effacée. Missions qu’elle réussit au-delà de ses espérances…

Ce tome est sans doute le plus drôle des trois, avec des situations extrêmement cocasses : un voyage scolaire cauchemardesque en Angleterre, une séance de spiritisme pendant laquelle Clémence s’amuse à effrayer les gothiques du lycée, la comparution de Clémence devant le conseil du Paradis, et de nombreux autres encore. Les dialogues, plus travaillés, font mouche. L’amitié de Clémence et de sa goule Elodie, a progressé. Ce roman recèle davantage de trouvailles que son prédécesseur, et sa narration est mieux maîtrisée. Et, pour ne rien gâcher, c’est aussi le plus épais des trois !

Alors lisez-le, vous vous évaderez dans un monde extrêmement original, où tout est permis. Savourez-le pleinement…puis jetez-vous sur le 3e tome comme une goule affamée ! (Mon avis sur le tome trois, c’est ici)

Note : 4/5 
Stellabloggeuse