mardi 5 mai 2015

Les mots qu’on ne me dit pas, de Véronique Poulain : s’exprimer autrement qu’en mots

[Stock, 2014]

Me revoilà avec un roman de la rentrée littéraire 2014. Autobiographique, le premier roman de Véronique Poulain fait partie des lauréats du Festival du premier roman de Chambéry en 2015.

Résumé

Née de deux parents sourds, Véronique est entendante, tout comme ses cousins, qui sont eux aussi le fruit d’unions entre sourds. Très vite ces enfants deviennent bilingues, passent avec aisance du monde de la parole à celui du silence, des mots aux signes… Mais ce n’est pas facile tous les jours de grandir avec cette différence.

Un roman autobiographique très riche

Il y a beaucoup de choses dans ce court roman autobiographique découpé en micro chapitres. L’auteure nous fait entrer dans ce qui a été son quotidien auprès de parents sourds. Elle évoque le regard des autres, pesant, plein de pitié ou de peur et qui lui donne parfois envie de hurler. Elle nous raconte aussi son quotidien, les petits travers des sourds, leur façon de déformer les mots, de faire des bruits de bouche sans s’en rendre compte. Elle se moque gentiment, avec beaucoup de tendresse, et elle nous fait sourire.

Parfois aussi, elle leur en veut, et s’en veut de leur en vouloir, lorsqu’elle rêve de longues discussions, lorsqu’elle a besoin de soutien, d’être guidée… A plusieurs moments de sa vie, elle souffre de cette communication limitée. Ils ne se comprennent pas totalement tant leurs univers sont différents. Pourtant elle est fière d’eux, de ce qu’ils arrivent à accomplir, et ce livre est aussi un hommage, on le sent bien.

Le personnage

Avoir des parents sourds a fait de Véronique une personne à part. Quelqu’un pour qui le silence a des airs de famille, quelqu’un qui est à l’aise pour s’exprimer avec son corps, quelqu’un qui a du mal à exprimer ses sentiments avec des mots. Elle reste pourtant une enfant et une jeune fille comme une autre, qui cherche sa voie, qui fait sa crise d’adolescence. C’est quelqu’un d’intéressant que j’ai pris plaisir à découvrir.

L’écriture

Quant au style, il est particulier, un peu haché. Les phrases sont souvent courtes, ainsi que les paragraphes. Comme si communiquer avec des sourds avait appris à l’auteure à aller à l’essentiel, à ne pas s’étendre en circonvolutions inutiles. C’est donc une écriture efficace, agrémentée d’une bonne dose d’humour et de tendresse.

En quelques mots…

Ainsi l’auteur nous propose un roman autobiographique très intéressant qui nous fait prendre conscience de ce que signifie vivre auprès de personnes sourdes. Ce thème a aussi été mis en avant ces derniers temps par le film « La famille Bélier » (inspiré par l'histoire de Véronique et dans lequel elle tient un petit rôle), et cette mise en lumière me semble importante, pour ne pas les voir comme un handicap mais comme des personnes à part entière. Un roman nécessaire, drôle et tendre, authentique.

Note : 4/5
Stellabloggeuse
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« Ce sont les autres qui regardent mes parents comme s’ils étaient débiles.
Ce sont les autres qui pensent qu’avoir des parents sourds, c’est dramatique.
Pas moi. Pour moi, c’est pas grave, c’est normal, c’est ma vie. »

« Dans la langue de mes parents, il n'y a pas de métaphores, pas d'articles, pas de conjugaisons, peu d'adverbes, pas de proverbes, maximes, dictons. Pas de jeux de mots. Pas d'implicite. Pas de sous-entendus. Déjà qu'ils n'entendent pas, comment voulez-vous qu'ils sous-entendent ? »

« La langue des signes est la langue la plus crue que je connaisse. Les sourds s’expriment de façon simple, directe. Brutale. Beaucoup de signes sont beaux, poétiques, émouvants - comme les mots « amour », « symbole », « danse » -, mais dans le champ lexical de la sexualité, c'est une autre histoire. Le signe ne laisse place à aucune équivoque. Alors que les mots suggèrent, les gestes imposent.

Leur crudité heurte les entendants parce que ces gestes anodins pour les sourds sont les mêmes que nous faisons, nous, lorsque nous voulons être grossiers et nous cachons pour les faire. Question de culture. »

2 commentaires:

  1. je ne savais pas pour la famille bélier (j'ai adoré ce film !). Il faut absolument que je découvre le livre.

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    1. En effet, j'ai vu le film depuis et j'ai adoré. L'auteur, Véronique Poulain, fait une petite apparition dans le film, la dame qui vient acheter les fromages au marché, c'est elle. Le livre et le film ne racontent pas DU TOUT la même histoire, seule l'idée de base d'une entendante dans une famille de sourds est conservée, mais les deux sont très bien. Je t'encourage à le lire :)

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