[Lucane éditions, 2012]
Me voilà aujourd’hui pour vous parler de « A la vie à la mort », le troisième roman de Henri Courtade. Après « Loup y es-tu ? » pour lequel j’ai eu un coup de cœur en 2011 et « Lady R » qui est dans ma Pile à Lire, je n’ai pas résisté à la tentation et à la curiosité : bien que peu familière de polar, j’ai tenté l’aventure avec « A la vie à la mort » paru chez Lucane, une petite et toute nouvelle maison d’édition.
Résumé
Dans ce roman, l’auteur met en scène quatre amis d’enfance : François le médecin de campagne, Jérôme le fermier, Yvan le neurochirurgien, et Pierre le policier. Ce dernier se trouve confronté à une série de meurtres de la part d’un individu se considérant vraisemblablement comme un justicier : il vise de « mauvais individus », tels qu’un PDG ou un avocat véreux. Tandis que la population se prend d’affection pour ce drôle de tueur, Pierre mène l’enquête tant bien que mal. Chacun des quatre amis vit cette enquête à sa manière, entre Paris et les Pyrénées. Jusqu’où iront-ils les uns pour les autres ?
Mon avis général
J’ai été peu à peu happée par ce récit qui est bien plus qu’un roman policier. En adoptant alternativement le point de vue de chacun des quatre amis, Henri Courtade nous dévoile leur personnalité, leur vie quotidienne, leurs réactions face à l’actualité. Et finalement, j’ai été assez bluffée par la conclusion du roman, avec un épilogue qui a une résonnance très actuelle, un ton révolutionnaire. J’ai simplement regretté que le roman ne soit pas un peu plus étoffé (236 pages, c’est trop court !), on aimerait creuser un peu plus, apprendre à connaître encore un peu mieux les personnages.
Entre roman policier et roman social
Tout au long du roman, la vie quotidienne des quatre personnages se mêle à l’enquête. Ce roman a ainsi un aspect « terroir » : on part à la découverte des Pyrénées et de la vie rurale, avec ses charmes et ses difficultés. A l’autre bout du spectre, la vie parisienne menée par Pierre et Yvan, tout aussi intéressante. Mais ce qui m’a frappée, c’est la manière dont l’actualité économique et la crise financière s’insèrent dans ce récit, dont elles sont pratiquement l’un des personnages. Henri Courtade nous invite à réfléchir sur le capitalisme débridé et les absurdités sociales qu’il engendre.
Ainsi, pendant une bonne part du roman, l’enquête reste assez discrète, elle sous-tend la vie des quatre personnages, comme un fil rouge. Mais finalement, lors d’une randonnée apocalyptique, on se retrouve en plein polar : la tension monte, inexorablement, et les pages se tournent de plus en plus vite. Jusqu’à la double révélation finale, frappante grâce à un suspense bien ménagé tout au long de l’histoire.
Les personnages
Le personnage de Pierre est celui qui m’a le plus plu dans ce roman. Dépassé par cette série de meurtres impeccablement exécutés, désarçonné par son jeune collègue qui raisonne différemment de lui, il est assez touchant. Leur décalage générationnel est parfois assez cocasse dans le roman. Pierre est également attachant par sa nostalgie, alors que ses enfants s’apprêtent à quitter le nid.
Les autres personnages ont également leur intérêt. Avec François, le médecin, l’auteur aborde la vieillesse et le déclin de l’être humain. Avec Jérôme, il évoque les problèmes de la ruralité. Enfin, avec Yvan, il s’intéresse au mal-être d’un fils de paysan qui a toujours eu honte de sa condition et qui cherche à prouver sa valeur.
Ce dernier est néanmoins le personnage qui m’a le moins touchée, je l’ai trouvé légèrement caricatural. Même si, dans le fonds, on comprend qu’il est plus complexe qu’il n’en a l’air. Globalement, je dirais que ce roman est plutôt masculin et viril, il y a peu de place pour la gent féminine rarement présentée sous un jour favorable. N’étant pas une obsessionnelle de la parité, je pardonne néanmoins pour cette fois, d’autant plus que leur amitié est belle.
L’écriture
J’ai retrouvé dans ce roman le style d’écriture qui m’avait séduite dans « Loup y es-tu » en plus affirmé, plus précis. Une alternance de belles phrases bien balancées et d’autres plus efficaces, une pointe d’humour bien placé, voici les ingrédients principaux. J’ai notamment apprécié les descriptions de paysages. Lors de la randonnée, l’écriture se fait particulièrement visuelle, j’avais la sensation de voir les images défiler devant mes yeux. Finalement, le ton se fait révolutionnaire dans l’épilogue, qui m’a littéralement emportée (extrait garanti sans spoiler) :
« Personne ne pourra plusieurs nous arrêter, nous sommes Légion, je te dis. Légion à avoir perdu […] la santé, l’honneur, la dignité, un emploi, un mariage, peu importent les raisons. Nous sommes innombrables, et nul puissant ne sera plus jamais à l’abri de notre vindicte. Alors, tous ces cyniques trembleront dans leurs fauteuils, derrière les hublots de leurs jets privés, sur leurs yachts au large d’îles paradisiaques. »
En quelques mots
J’ai été un peu longue, c’est l’enthousiasme qui parle ! Pour conclure, je dirais donc simplement qu’il s’agit-là d’un roman policier particulièrement humain, une belle histoire d’amitié pleine de messages, avec un suspense haletant dans la dernière partie du roman. En cela, il pourra également plaire aux « non-initiés » du polar, tels que moi. Sans oublier une dimension révolutionnaire qui m’a réellement touchée. Et Henri Courtade poursuit son chemin, il prouve son talent d’écriture dans des genres diversifiés et s’annonce comme l’un des jeunes auteurs français les plus prometteurs.
Note : 4,5/5
Stellabloggeuse
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« On frappa à la porte. Elle s’ouvrit et Johan entra. Lieutenant stagiaire fraîchement émoulu de l’école de police, c’était un garçon enthousiaste et volontaire, mais qui présentait, selon Pierre, les défauts de la jeunesse d’aujourd'hui : sans illusion, tant sur son avenir professionnel que sur le monde du travail lui-même, profitant de l’instant présent, laissant à ses supérieurs le soin de penser à une retraite qu’il ne toucherait jamais, et cherchant ses infos dans Google plutôt que dans les archives du commissariat. »
« Pierre songea à un roman de Marcel Pagnol qu’il avait lu enfant. Un des personnages disait en substance qu’amasser de l’argent ne sert à rien, « on n’a qu’un trou du cul ». Une expression imagée, mais si juste. Le meurtrier avait simplement rajouté un second trou de balle entre les deux yeux de Maître Dupreux, peut être afin de lui offrir un conduit d’évacuation supplémentaire pour la merde qu’il avait dans le crâne, ne put s’empêcher d’ironiser Pierre intérieurement. »
Tu me convainc car Henri Courtade a l'air d'un auteur talentueux et je rajoute ce livre à ma wish :D
RépondreSupprimerBizoo !
PS : Sans vouloir insister, tu as réfléchi à ma proposition ? :$
Il est pas talentueux, il est génial (au risque de passer pour une groupie, mais j'assume, c'est pour moi un des meilleurs auteurs français des 10 dernières années, en particulier pour la profondeur et la résonnance universelle qu'il donne à chacune de ses histoires).
SupprimerPour la proposition je t'ai envoyé un mail, désolée de faire traîner, je ne sais plus ou donner de la tête en ce moment :s
Pas de souci, Stella, je l'ai eu et ai rep :p
SupprimerIl faut que je lise un de ses livres, alors :o Merci ^^
Il le faut oui, sans plus tarder ! En premier lieu je te conseillerais "Loup y es-tu ?" qui revisite les contes traditionnels. De mon côté il faut que je lise son roman historique, "Lady R"
SupprimerJe n'avais pas fait le lien, Lady R est du même auteur ! Ce livre me fait envie depuis un sacré bout de temps (oui, moi, dés qu'il y a de la chevalerie, de l'aventure, une histoire avec les Templiers, je ne marche pas, je cours XD)... Ahh ! Et voilà, il me fait doublement envie maintenant que je sais que c'est de cet auteur que tu affectionnes tant !
RépondreSupprimerEt ouiii, Lady R et le superbe Loup-y es-tu sont également de Mr Courtade. Il faut dire qu'il s'essaye à des genres très divers (et il nous a notamment promis une histoire de vampire :D). J'ai hâte de découvrir Lady R, ce sera sûrement pour cet été vu son épaisseur (jouissive néanmoins) ! Quant à ce polar, il est très bien, je te le recommande (en plus, encourager un petit éditeur débutant, c'est une BA !). Ce roman a comblé d'aise mon esprit révolutionnaire face au capitalisme sans limite et à la crise...^^
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