[Sarbacane, janvier 2013]
Il est des auteurs qui vous remuent, qui savent mettre en mot le mal-être d’une manière à la fois crue et poétique, de sublimer la douleur afin qu’elle vous exorcise de vos souffrance. Antoine Dole en fait partie, et j’avais déjà eu le bonheur de lire son « Je reviens de mourir » ainsi que « K-Cendres ». Entre quelques bandes-dessinées de sa composition, il revient aujourd’hui avec un mini-roman, toujours chez Sarbacane, que j’ai eu la surprise de recevoir et que j’ai dévoré en moins de temps qu’il ne faut pour le dire.
Résumé
Le narrateur, un jeune garçon de 13 ans qui n’est jamais nommé au cours de ce mini-roman, se sent mal. Son père lui a répété cent fois qu’il ne voudrait pas d’un enfant homosexuel, cent fois il lui a dit d’agir comme un homme et de faire jouer ses poings face aux railleries et aux sévices des autres. Le narrateur peut compter sur Sarah, qui est forte pour deux. Mais elle n’a pas le pouvoir de le sauver, et ce jeune garçon n’en peut plus. D’une manière ou d’une autre, il doit en finir…
Un format court, mais puissant
Il s’agit bel et bien d’un mini-roman, puisqu’il ne compte que 56 pages, dans un format très réduit. C’est un roman qui se lit en une petite heure. On a pourtant l’impression qu’il est bien plus long, tant les émotions sont vives. On oublie l’auteur, on a l’impression que ce jeune garçon nous parle réellement. C’est un roman très court, mais qui dit tellement de choses importantes et qui sonnent juste. Et pourtant, une fois refermé, je n’ai pas pu m’empêcher de me dire que j’aurais voulu qu’il soit plus long, que l’émotion puisse monter encore et que l’on puisse fouiller les tenants et les aboutissants de ce mal-être. Je n’ai pas pu m’empêcher d’être un peu frustrée. Néanmoins, je saisis très bien l’idée de ce roman : faire un éclairage sur un moment d’une vie, où les choses basculent. Et c’est très réussi.
Des mots pour vaincre les maux
Le roman étant court, je vais tenter de vous en dire le moins possible, pour ne pas vous en gâcher la découverte. Disons que le narrateur a deux gros problèmes dans sa vie : d’une part les sévices physiques et moraux de la bande de gros bras du collège, et d’autre part l’attitude de son père dont il a l’impression qu’il ne l’aime pas tel qu’il est. Parmi ces maux, la douleur physique n’est pas la plus gênante, loin de là… Le mot « suicide » n’est jamais prononcé, et pourtant, il plane sans cesse dans l’esprit du lecteur, qui reste tendu tout au long de l’histoire dans l’attente d’un geste fatal. De même, l’homosexualité n’est pas traitée directement, mais omniprésente.
Plutôt que d’apprendre à se battre, le narrateur a besoin d’entendre certains mots, ceux qui pourraient enfin lui permettre de s’accepter… Au-delà de la description d’un mal être, ce mini-roman est donc un vibrant hommage à la magie des mots.
Les personnages
Le jeune garçon dépeint par Antoine Dole est criant de vérité. On ne peut qu’être touché par la simplicité avec laquelle il nous raconte ses maux, dont il avoue ses faiblesses. On comprend qu’il a besoin d’être aimé tel qu’il est et tout au long de l’histoire, on espère qu’il trouvera la force, on a peur pour lui, on retient son souffle.
L’écriture
Je vais le redire encore une fois : Antoine Dole est un virtuose de la plume, qui manie les mots comme peu ont la capacité de le faire. Un style travaillé, mais sans maniérisme ni obstacle, tantôt poétique, tantôt plus cru, c’est tout à fait ce que j’aime lire. Je suis restée suspendue à ses mots, osant à peine reprendre ma respiration.
En quelques mots…
Ainsi, c’est un mini-roman d’une force incroyable que nous livre Antoine Dole, un éclairage sur le mal-être d’un jeune garçon qui souhaite simplement en finir. Un roman coup de poing dans lequel nombre d’adolescents pourront se retrouver et qui pourra peut-être leur montrer une petite lumière au bout du tunnel. Je conseille en tout cas à n’importe qui de prendre une petite heure pour dévorer ce texte, à la hauteur de ce à quoi Antoine Dole nous a habitués. Et pour achever de vous convaincre, je vous propose les avis de Batifolire et Culturez-vous, qui ont été tout aussi touchés que moi.
Note : 4,5/5
Stellabloggeuse
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Ce roman fait partie des challenges :
Bouge ta PAL ! lecture n°17
Où sont les hommes ? : lecture n°26
On est loin du conte de fée, mais on s’en fiche, parce que c'est un bon roman...
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« Mais on s’y fait Sarah, à ce monde qui cogne et qui heurte, c’est celui dont on avait peur la nuit quand on était petits. Quand ma mère me disait que les monstres n’existaient pas, que fallait pas avoir peur, c’était pas vrai Sarah. Ces monstres-là, ils existent, moi j’en ai rencontré. On s’y fait et c’est le pire, on s’habitue à tout.
J’ai honte, je n’ose pas la regarder, j’essaie de me redresser. Elle me redemande si ça va. Non, ça va pas, mais j’ai pris l’habitude. »
« Papa m’a dit cent fois d’être un homme, et d’agir comme un homme. Oui mais Papa, lequel ? Je veux pas être comme Vincent, n’être fait que de bruits, de cris et de colère. Pourquoi tu m’apprends pas les mots, plutôt ? Les mots qui soulagent, les mots qui apaisent, je voudrais avoir les mots qui soignent, ceux qui ne laissent pas seul ? Ceux qui ne me viennent pas quand les choses vont trop loin : « Arrête maintenant, arrêtez, c’est trop ». C’est ces mots-là Papa, que tu dois me donner la force de dire. »
« A force de ressasser la peur, j’ai rogné tous les points d’appui, quand j’essaie de grimper dans les hauteurs je glisse, m’écrase au sol. Chaque fois je tombe de haut, alors le moral reste bas, c’est plus sûr. Je soulève mon tee-shirt : mes côtes saillent sous la peau. J’ai perdu l’appétit, à force de manger des assiettes de silence et des bols de regards accusateurs à table avec Papa. J’avale les reproches et puis je vais au lit. Dès le matin au menu, c’est soupe à la grimace. »
Oh, je n'en vais jamais entendu parler avant mais il me fait très envie. Merci de nous l'avoir présenté ! Je note.
RépondreSupprimerLongue et belle critique pour ce court et superbe roman !
RépondreSupprimerMerci, je vais aller lire la tienne avec plaisir :)
SupprimerHeureusement que tes mots à toi frappent car on pourrait croire que Dole enfonce des portes ouvertes mais je sais, on sait qu'il a le génie pour dépeindre la souffrance même la plus extrême. Hâte de le lire en tout cas, c'est un sujet brûlant en plus ^^ et vieux comme Hérode en même temps !
RépondreSupprimerBisous
PS : Tiens il faudrait que je te parle d'une série qui pourrait te plaire ^^
Enfoncer des portes ouvertes, je sais pas, ce qui est sûr, c'est que certaines chose ont besoin d'être dites et répétées, et que monsieur Dole le fait très bien :)
SupprimerNon je veux dire en lisant la 4ème et que justement, ton avis permet de voir, pour les non connaisseurs de l'auteur, toute la qualité qu'il développe dans un livre.
SupprimerMici :D
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