mardi 28 janvier 2014

Bel-air, de Lionel Salaün : l’histoire d’une cité, d’une amitié, d’une trahison

[Liana Levi, 2013]

J’avais beaucoup aimé « Le retour de Jim Lamar », premier roman très remarqué du chambérien Lionel Salaün. J’avais apprécié les décors bien plantés et l’épaisseur des relations entre les personnages. Je souhaitais donc découvrir rapidement son second roman paru à la rentrée littéraire 2013, intitulé « Bel-air ».

Résumé

Alors que la Cité est détruite peu à peu, le bar du Bel-air s’apprête à fermer ses portes. Georges, le gérant, sert un dernier verre à Frank, celui qui a été son meilleur ami autrefois. Les deux hommes ne se sont plus vus depuis la fin des années 1950. Frank, avec quelques décennies de retard, demande des comptes à son ancien ami. Il l’accuse de l’avoir trahi et de l’avoir envoyé en prison. Frank remonte alors le fil de sa mémoire et reviens à la fin des années 1950, à leur bande de copains, à l’époque où le Bel-air grouillait de vie, et il cherche la vérité.

Des qualités confirmées

On retrouve dans ce roman des thèmes chers à l’auteur, et notamment cette amitié très forte qui peut unir les hommes. Cette histoire est avant tout celle d’une bande d’amis. Même si leurs routes s’éloignent peu à peu, on les sent unis. De même, j’ai retrouvé dans ce roman l’aptitude de l’auteur à planter un décor et à donner vie à une communauté d’humains. C’est un roman basé sur l’humain, sur les relations entre les personnes et sur la construction de chacun.

Une cité des années 50

En revanche, si « Jim Lamar » était un roman américain, nous sommes bien ici en France, dans une ville inconnue, au sein d’une cité à l’écart du centre-ville. Le Bel-air est au centre de cette communauté, relie les uns et les autres. A la ville, les habitants sont déconsidérés et les perspectives d’avenir des jeunes gens sont étroites, même si les parents rêvent d’une ascension sociale dans l’administration. Ce qui n’empêche pas les habitants de mépriser à leur tour les travailleurs maghrébins qui vivent aux abords de leur cité et de les rejeter violemment. Sur fonds de guerre d’Algérie, nous retrouvons ainsi un autre sujet cher à l’auteur, celui du rejet de l’autre.

Les personnages

Le roman tourne autour d’une bande de copains. Nous suivons Frank, qui rêve de liberté, ne supporte plus les quatre murs de l’école mais ne sait pas savoir quoi faire de sa vie. Son meilleur ami Georges a repris à son compte le patriotisme de son père et effraie ses amis par son amour des armes. Antoine se passionne pour la mécanique et l’adrénaline, tandis que Serge évolue dans les hautes sphères de la cuisine parisienne et enchaîne les conquêtes.

L’écriture 

J’ai pris plaisir à retrouver le style de Lionel Salaün. Il a une manière de raconter que je trouve envoûtante. Il parvient sans problème à plonger son lecteur dans une ambiance et dans une époque, et à lui donner l’impression qu’il appartient à une communauté. Je continuerai à le suivre, c’est certain.

En quelques mots…

Ainsi, c’est un roman à lire, pas tant pour la quête de Frank de celui qui l’a dénoncé, mais pour se confronter à la vie d’une communauté d’hommes dans une cité de la fin des années 1950, pour éprouver la solidité des amitiés et pour réfléchir à la chute de l’empire colonial français et à une xénophobie qui n’a malheureusement pas perdu toute sa vigueur aujourd’hui.

Note : 4/5

Stellabloggeuse

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« Des questions, tout au long des quinze années que j’avais passées à l’ombre, il m’en était venu tout un tas, que j’avais ruminé jusqu’à la nausée, les veines gonflées de haine et de colère. Mais à tant les ressasser, jour et nuit, des mois et des mois durant, à les triturer comme les pièces d’un puzzle qu’on n’arrive pas à faire coller ensemble, la plupart d’entre elles avaient fini en lambeaux. Et, depuis que j’avais recouvré la liberté, celles qui restaient avaient fondu au soleil. Sauf une, qui n’avait rien à voir avec cette serveuse dont j’avais même oublié le nom. Cette question-là, si j’avais pu, à vingt ans, briser mes barreaux pour venir ici, la poser à Gérard et régler mes comptes, la facture aurait été salée et le gars aurait dû payer cash, intérêts compris. Mais j’avais eu vingt-cinq ans, et puis trente, et puis trente-cinq. Et tant d’autres encore. »

« Dans cet étrange et merveilleux voyage qu’est l’amour, me confia-t-il, les hommes ont peur parce qu’ils ne savent pas où ils vont. Les femmes, elles, ne redoutent pas ce chemin qu’elles connaissent d’instinct. »

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