dimanche 26 avril 2015

Buvard, de Julia Kerninon : quand un écrivain affronte son passé

[Le Rouergue, 2014]

Aujourd’hui, on continue avec un auteur premier roman sélectionné pour le Festival de Chambéry ! Je me souviens avoir lu de bonnes critiques sur « Buvard » de Julia Kerninon au moment de sa sortie, c’était l’occasion de le découvrir.

Résumé

Lou, un jeune étudiant assez naïf, est fasciné par l’œuvre de l’écrivain Caroline N. Spacek et décide d’aller à sa rencontre pour l’interviewer, car il ressent le besoin de la comprendre. Après un accueil pour le moins brutal, elle l’invite à s’installer chez elle et lui livre son passé au fil des jours, entre quelques pâtisseries, cocktails maison et séances de jardinage.

Une vie marquée par la littérature

J’ai été rapidement happée par ce roman puissant : on entre de plain-pied dans la vie de Caroline et l’on n’a plus envie de la quitter avant de tout savoir, avant de la comprendre un peu mieux. Le roman résulte d’une habile mise en abyme, il se veut le résultat des interviews réalisées par Lou, entrecoupé de ses propres réflexions.

Au centre du roman, le passé de Caroline qui est un personnage assez fascinant, j’y reviendrai plus tard. Elle nous raconte son ascension fulgurante, elle qui venait d’un milieu populaire, d’une « prairie » selon ses propres mots. Mais elle aborde aussi et surtout la littérature, qu’elle a rencontrée brutalement à l’âge de 18 ans et qui l’a consumée toute sa vie. Il est question de l’incompréhension, de la déformation des écrits par ceux qui les reçoivent, lecteurs ou journalistes. Sur un plan plus personnel, elle nous livre ses amours et la difficulté qu’elle a eue à leur faire de la place.

Les personnages

Caroline est un sacré personnage de roman, comme on en rencontre peu. Jeune, c’est un bulldozer qui parle avec ses poings et s’exprime par le corps, qui se destine à une carrière de serveuse ou de tenancière de snack. Puis elle est kidnappée par la littérature, au sens littéral, et elle l’habite entièrement. C’est un personnage au caractère de feu, qui part au quart de tour, submergé par la colère. Elle est à la fois forte et fragile, enfantine et pleine de sagesse. Elle peut se montrer détestable, et pourtant on s’attache à elle.

Quant à Lou, son personnage sert surtout de faire valoir, même s’il nous livre des brides de son passé et de sa romance avec Piet. Ce que l’on apprend sur lui est, à mon sens, du glauque inutile. L’intérêt réside dans la résonance avec le passé de Caroline. Et sans doute fallait-il un personnage aussi innocent pour recueillir la vie torturée de l’écrivain.

L’écriture

Le style est la grande qualité de ce roman. Il est terriblement affirmé pour un premier roman, on est déjà dans la littérature. Ce qui me laisse penser que Julia Kerninon a déjà des années d’écriture derrière elle. Elle trouve les bonnes formules, les phrases percutantes, j’ai eu régulièrement envie de relever des citations, vous en trouverez quelques-unes à la fin de l’article. Un écrivain à suivre !

En quelques mots…

Ainsi ce premier roman est surprenant par son style déjà très affirmé et très littéraire, et par la force de son propos autour de l'écriture et de ce qu'elle coûte aux écrivains. L’auteure a construit un personnage fort, marquant, que l’on a envie de suivre même si Caroline est parfois antipathique. A découvrir.

Note : 4/5
Stellabloggeuse
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« Je commençais à penser que j’avais été présomptueux, que ce n’était pas si facile que ça d’interviewer un écrivain, puisque la vérité n’était jamais une base pour eux, mais plutôt une destination, puisqu’ils maîtrisent si bien la fiction que tout ce qu’ils pouvaient imaginer sonnait vrai. »

« Elle me criait dessus, elle éprouvait ses phrases contre mon oreille, mais elle les connaissait par cœur. Elle avait beaucoup plus de souvenirs que ce qu’elle avait proclamé au départ. Elle savait très bien où elle allait parce qu’elle allait à reculons. Elle plongeait la tête en arrière comme une nageuse. Dos crawlé. Jour après jour après jour. »


« J’ai appris ça en vieillissant, Lou – que j’aimais les paysages et qu’il n’y a pas de douleur insupportable, simplement des moyens de plus en plus terribles et épuisants d’y faire face »

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