samedi 11 mai 2013

La première chose qu’on regarde, de Grégoire Delacourt : une romance ratée, mais des qualités toujours présentes

[JC Lattès, 2013]

J’ai découvert Grégoire Delacourt avec son premier roman, « L’écrivain de la famille », auquel j’avais trouvé un seul défaut, celui d’être très masculin. J’ai pensé que l’auteur connaissait mal le cœur des femmes. Il m’a prouvé le contraire, et de quelle manière, avec « La liste de mes envies » qui a été un coup de cœur. Aussi, j’avais beaucoup d’attentes vis-à-vis de ce troisième roman. Peut-être un peu trop.

Résumé

Arthur Dreyfuss est garagiste dans une toute petite ville, il a vingt ans, et il n’a jamais vraiment connu l’amour. Un soir, on frappe à sa porte. Devant lui, Scarlett Johansson. Elle a l’air triste, il est prêt à tout pour qu’elle soit heureuse. Finalement, elle n’est pas vraiment Scarlett, mais elle a quelque chose qui le touche. Suffisamment pour lui faire oublier l’actrice ?

Une première partie en demi-teinte…

En commençant ma lecture, j’ai été assez déçue. Ce roman est de nouveau très masculin, et la magie n’opère plus. J’ai été gênée avec les très nombreuses digressions, les précisions inutiles. Il m’a semblé qu’elles étaient là afin de rendre l’histoire d’amour fantaisiste, légère, un peu à la Foenkinos. Mais à mon sens, c’est raté. Il y a également beaucoup de « people », ce qui donne à ce roman un côté superficiel qui m’a dérangée. Beaucoup de références culturelles, également, vraiment trop : si on ne les connaît pas, on finit par se sentir un peu inculte, et il y a un moment ou cela devient vraiment gênant. Tout cela m’a vraiment empêchée d’adhérer à l’histoire d’amour, que j’ai trouvé peu crédible.

…une seconde partie bien meilleure

Mais finalement, passée une première centaine de pages, voire cent cinquante, le roman devient bien meilleur. Nous voilà de retour dans la gravité qui sied tout particulièrement à cet auteur. Il excelle dans le doux-amer, dans la lucidité et la mélancolie. Le roman est soudain devenu plus profond, au fur et à mesure que l’auteur nous entraîne dans une spirale destructrice. On quitte le conte de fée, et la fin est terrible. Au final, j’ai l’impression que cette première partie légère et superficielle n’est là que pour rehausser le côté dramatique de la seconde, et en cela le choix de l’auteur se justifie, bien que je n’ai pas aimé cette première partie. La fin est ouverte, nous laisse imaginer ce que l’on veut. Mais elle recèle un espoir. Malgré son regard lucide et désenchanté sur l’existence, cet auteur n’abandonne jamais l’espoir, c’est l’une des choses que j’aime chez lui.

Les personnages

Le roman est centré sur les personnages d’Arthur et de Jeanine, que nous suivons tout au long du roman. Les deux sont cabossés, à leur manière, ils n’ont pas été épargnés par la vie dans leur enfance. Arthur est un homme bien, mais qui a si peu connu le corps des femmes que celui-ci peut parfois leur faire perdre la tête. Quant à Jeanine, elle rêve d’être aimée pour ce qu’elle est, et non pour ce qu’elle représente. Ils sont plutôt touchants, tous les deux.

L’écriture

Le style de Grégoire Delacourt continue à me plaire dans l’ensemble, même si j’ai regretté ici des digressions et l’emploi d’un vocabulaire parfois obscur pour tout un chacun. Par moments, ce roman m’a donné l’impression d’être un peu élitiste. Mais il y a une magie chez lui, une manière d’expliquer le monde avec des mots simples, qui continue à me toucher.

« Elle ne perd pas la tête, répliqua sèchement Jeanine Foucamprez. Sa tête est pleine de choses magnifiques pour lesquelles elle ne trouve pas les bons mots. C’est tout. »
« Il laissera les mots grandir en lui désormais, et elle pourra les cueillir. Il sait que les mots sont un champ et que l’ordre que leur donne le vent peut changer le monde."


En quelques mots…

Ainsi, c’est un roman qui, je le pense, fera des déçus, car il n’est pas touché par la grâce comme l’était « La liste de mes envies ». La première partie est poussive et superficielle, la seconde est grave, profonde et belle. Je ne veux pas juger trop durement cet auteur que j’aime, il doit être difficile d’écrire à nouveau après un tel succès. Une pincée de grosse tête, un livre écrit un peu trop vite, et la magie s’en va. Néanmoins, la seconde partie m’a prouvé que cet auteur a encore de belles choses à nous raconter. Je serai au rendez-vous de son quatrième roman, peu importe dans combien de temps il sortira.

Note : 2,5/5 pour la première partie
3,5/5 pour la seconde

Stellabloggeuse

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Ce roman fait partie du challenge :


 Challenge « Où sont les hommes ? » : lecture n°44

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« Il n’y eut aucun mot qu’il ne comprit pas, mais leur ordonnancement l’émerveilla au plus haut point. Il eut alors un sentiment confus selon lequel des mots qu’il connaissait, emperlés d’une certaine manière, étaient capables de modifier la perception du monde. Saluer la grâce ordinaire, par exemple. Ennoblir la simplicité. Il goûta d’autres assemblages merveilleux de mots au fil des pages, au fil des mois, et pensa qu’ils étaient des cadeaux pour apprivoiser l’extraordinaire, si d’aventure il frappait un jour à votre porte. »

« Tu sais Arthur, si j’étais né dans les années 1920 et que j’étais devenu le mec de Marilyn Monroe, jamais elle se serait empoisonnée avec toutes ces conneries ; je le sais. C’est pas des footballeurs, des acteurs, des présidents, des auteurs prétentieux et des gens qui s’aimaient plus qu’elle qu’il lui fallait, non ; ce dont son cœur avait besoin, c’était d’un gars simple, honnête, qui aime les autres, un garagiste, un type capable de l’emmener en auto voir des jolies choses, de baisser la capote, de lui faire respirer l’air roux d’un bel automne, de lui faire goûter la pluie, les minuscules gouttes remplies de poussière, gonflées de vent, de lui tenir la main, sans la serrer, sans l’étouffer surtout, sans chercher à la baiser sur la banquette arrière, ouais, voilà ce que j’aurais fait avec Marilyn, et voilà pourquoi elle serait morte de vieillesse avec moi. »

2 commentaires:

  1. Deuxième avis trèèèèèès mitigé que je lis sur ce roman. Si je dois en lire un de cet auteur, ce ne sera assurément pas par celui-là que je commencerai :p

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    1. Ecrire cet avis m'a fait de la peine car j'aime beaucoup cet auteur... Je crois simplement qu'il a voulu écrire quelque chose de différent, changer un peu de genre, et qu'il s'est planté en beauté, même si la seconde partie du roman m'a beaucoup plu. J'espère qu'il reviendra avec un roman qui lui ira mieux. Je te conseille bien volontiers sa magnifique "Liste de mes envies", qui sort en poche fin mai ;)

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