samedi 13 juillet 2013

Tigre, tigre ! de Margaux Fragoso : témoignage d’une enfant abusée

[Flammarion, 2012]

Aujourd’hui je vais vous parler non d’un roman mais d’un témoignage, celui de Margaux Fragoso qui a passé quinze années de sa vie sous la coupe d’un pédophile. Ce livre a été l’un des titres phares de la rentrée littéraire 2012, vanté pour ses qualités littéraires et marquant par son contenu.

Résumé

Alors qu’elle est âgée de sept ans, Margaux Fragoso rencontre Peter Curran, cinquante et un ans, à la piscine municipale. Pendant quinze années, ils ne se quitteront pratiquement plus. La maison de Peter est un paradis, rempli d'animaux et régi par le désordre. Sous le regard bienveillant de sa mère, Margaux s’amuse comme une folle avec son nouveau compagnon de jeu. Sauf qu’il y a aussi ces moments passés dans la cave, à l’abri des regards…

Un témoignage poignant

Le moins que l’on puisse dire, c’est que Margaux Fragoso n’a pas été gâtée par la vie. Née dans un foyer peu sain, entre une mère dépressive et un père alcoolique obsédé par son image, son quotidien n’a rien d’enviable. Dans ce contexte, la maison de Peter apparaît comme un véritable oasis et sa compagnie, un réconfort. Sauf que les abus qu’il lui fait subir ont des répercussions physiques et psychologiques sur la petite fille, puis sur l’adolescente qui dépérit à vue d’œil et qui se retrouve socialement isolée. Néanmoins l'auteure ne fait pas dans le misérabilisme et, si certaines pratiques sexuelles sont clairement racontées, elle n'en fait pas étalage. C'est un témoigagne justement dosé.

Un témoignage ambivalent et dérangeant

Malgré tout, on peine à plaindre l’auteure car on la voit assez passive face aux abus que lui fait subir Peter, on aimerait parfois la secouer pour qu’elle réagisse. « Pire », on se rend rapidement compte que, tout en étant consciente que ce qu’il lui fait n’est pas normal, une part d’elle aime profondément Peter. D’ailleurs, tout au long de son témoignage, jamais elle n’émet de jugement sur le pédophile et prend position en faveur de traitements médicamenteux qui seraient disponibles AVANT le passage à l’acte, ce qui n’existe pas aujourd’hui. Cette absence de morale peut rendre la lecture assez dérangeante, mais c’est extrêmement intéressant psychologiquement parlant.

Les « personnages »

Ceux qui font partie de la vie de l’auteure sont de véritables personnages de romans. Il y a son père, lunatique et frustré par l’existence qu’il mène, sa mère, irresponsable et enfermée dans son propre monde. Il y a Peter et ses deux facettes, l’homme gentil et amoureux face à l’homme violent et sujet aux pulsions sexuelles. Margaux, quant à elle, passe d’une petite fille vive, confiante et innocente à une jeune fille isolée et à la sexualité débridée d’avoir été éveillée trop tôt. Il me semble qu’elle est assez honnête vis-à-vis d’elle-même et qu’elle se montre telle qu’elle est, y compris dans ses mauvais côtés, ce qui est tout à son honneur.

L’écriture 

Plus qu’un simple témoignage, ce livre est un véritable ouvrage littéraire, bien mené et bien écrit. Margaux Fragoso a en effet un véritable talent d’écriture qu’elle nous explique avoir travaillé à l’université. Voilà qui nous change de certains premiers romans nombrilistes et brouillons. Certes, elle cherche à exorciser ses démons et à éveiller les consciences, mais elle offre également une œuvre de littérature.

En quelques mots…

Ainsi, c’est une lecture que j’ai appréciée, malgré le côté dérangeant et ambivalent que j’ai pu souligner. Je vous conseille volontiers ce livre si la dimension psychologique vous intéresse, si vous souhaitez appréhender un peu mieux la relation complexe entre un pédophile et sa victime. Et ce d’autant plus qu’il est très bien écrit.

Note : 3,5/5

Stellabloggeuse

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« -Huit ans est le plus bel âge pour une fille, dit Peter quand j’eus ouvert mes cadeaux. Mais ça me rend triste de te voir grandir.
Ça me rendait un peu triste, moi aussi. Quand j’avais quatre ou cinq ans et que les gens me disaient que j’allais grandir, je ne les croyais pas. Je ne pouvais pas croire que mes pouvoirs d’enfant ne dureraient pas toujours – me cacher sous les tables, loger mon corps entier sous une chaise ou dans des recoins minuscules. Je chérissais cette souple liberté animale, la joie de plier entièrement bras et jambes sous moi, de trouver dans les barrières une brèche où me glisser, une fente entre un tronc d’arbre géant et un mur de pierre ; c’était là ma gloire. »

« Le Malabar était rare : nous ne le pratiquions jamais en public, parce qu’il prenait trop de temps. Peter achetait des Malabar, nous lisions la petite bande-dessinée à l’intérieur de l’emballage, et je mâchais le chewing-gum, qui était dur, jusqu’à le rendre tout mou. Je passais le chewing-gum à Peter qui me le repassait. Nos langues se touchaient, c’était inévitable, et cela me faisait l’effet d’un poisson s’agitant dans ma bouche. Chaque fois que ce nouveau baiser arrivait, le tout premier moment me semblait toujours dégoûtant ; puis l’émotion s’éteignait aussi vite qu’elle était venue. »

6 commentaires:

  1. J'ai pensé comme toi. Là où ça m'a le plus dérangée, c'est au niveau de la manière dont Margaux raconte ce qui lui est arrivé. D'une manière scientifique ( ce que je peux comprendre) et en même temps, comme si c'était normal (ce qui m'horripile)

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    1. Oui, elle raconte tout cela d'une manière très détachée. Et pourtant, dans ce qu'elle raconte, on voit bien que son corps et son mental de petite fille ont régai violemment, qu'elle savait que ce n'était pas normal. Elle a du prendre beaucoup de recul pour se raconter ainsi, et l'effet est dérangeant, comme tu dis

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  2. voilà encore une merveilleux billet sur ce titre !
    j'ai bcp aimé ce roman (malgré le sujet délicat et difficile) tant il était bien écrit. Il donne une vision particulière de la victime que j'ai apprécier découvrir.

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    1. Merci Steph :) J'ai vraiment apprécié l'écriture en effet, c'est une vraie oeuvre littéraire, pas seulement un témoignage. Et la manière dont elle revient sur toute cette relation, sans jamais juger, c'est à la fois dérangeant et intéressant

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  3. J'ai lu ce roman, il y a quelques mois et je partage tout à fait ton avis sur le fait que le témoignage est dérangeant, la relation d'amour et de haine qu'elle entretient à l'égard de Peter est déstabilisante. Mais j'ai également trouvé ce témoignage très intéressant et qui je trouve éclair sur cette relation malsaine même s'il est sur que ce n'est qu'un témoignage et qu'il n'a pas valeur de généralité.

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  4. J'ai aussi trouvé ce témoignage très intéressant, il éclaire la manière dont la relation peut se nouer, la personnalité de Peter, la manière dont les parents ne se doutent de rien... En plus le style est agréable

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