[Stock, 2013]
J’ai beaucoup apprécié le premier roman de Judith Perrignon, intitulé Les Chagrins, qui évoquait la naissance d’un enfant dans une prison pour femme. Elle nous revient en cette rentrée littéraire avec « Les Faibles et les Forts », avec lequel elle traverse l’Atlantique pour évoquer un autre fait de société, celui du fossé qui perdure entre les Afro-américains et les autres citoyens des Etats-Unis.
Résumé
Ce roman est construit autour de deux faits divers : la noyade de six jeunes afro-américains dans une rivière en 2010, et les émeutes qui ont eu lieu pendant la ségrégation lorsque les piscines ont été ouvertes aux personnes de couleur. Une statistique relie ces deux faits : aujourd’hui, 60% des afro-américains ne savent pas nager, pour des raisons liées à l’époque de la ségrégation. Judith Perrignon imagine donc l’histoire d’une famille afro-américaine, avec des personnages inventés et qui vivent ces deux terribles évènements, nous faisant faire un aller-retour entre 2010 et 1949.
Un roman à plusieurs voix
Comme « Les Chagrins », ce nouveau roman nous offre plusieurs points de vue : celui de Mary Lee, la grand-mère, sa fille Dana, les petits-enfants Déborah, Marcus, Wes et Jonah. C’est principalement la grand-mère qui s’exprime, et c’est elle aussi qui nous offre un flash-back en 1949, en pleine ségrégation. Une nouvelle fois, l’auteur mène très bien son œuvre et gère à merveille les différents points de vue. Elle termine son roman sous la forme d’une émission de radio, un procédé que j’ai trouvé intéressant.
Un livre coup de poing
La ségrégation est un sujet qui a beaucoup été traité dans des romans et pourtant, celui-ci sort du lot. Tout d’abord grâce à l’angle original de la natation. Et ensuite parce que Judith Perrignon a su trouver les bons mots pour restituer la condition des Afro-américains et la violence de ce qu’ils ont vécu. Durant l’épisode qui se déroule en 1949, on est frappé par le sentiment d’impunité des blancs, par la violence gratuite qu’ils déploient et par la position ambiguë des forces de l’ordre chargées de protéger les gens de couleurs sans pour autant sanctionner les agitateurs blancs. Concernant la période actuelle, l’auteure nous fait prendre conscience des préjugés qui pèsent sur les épaules de ces jeunes gens, et combien il est dur pour eux de tracer une autre voie que celle qu’on leur destine, d'autant plus que leurs pères sont le plus souvent absents.
Les personnages
Les personnages sont assez nombreux dans ce roman. Parmi eux, Mary Lee, la grand-mère, est la plus présente et la plus intéressante, car elle a vécu les deux époques, celle de la ségrégation et celle des années 2000. Marcus est un garçon bien, seulement un peu dépassé par la vision que l’on a de lui. Déborah rêve d’être aimée, tandis que leur mère, Dana, n’a jamais réussi à garder un homme et aimerait être fière d’elle-même, à nouveau. Ces personnages sont profondément attachés les uns aux autres et ce roman est aussi une belle histoire de famille.
L’écriture
J’aime beaucoup le style de Judith Perrignon que je trouve assez percutant. Elle emploie des mots forts et parfois crus, mais toujours à bon escient, tout sonne juste. C’est un auteur qui sait donner du poids à ses paroles. En somme, c’est un style à la fois direct et agréable.
En quelques mots…
Ainsi, c’est un roman que je vous recommande volontiers, même si le sujet de la ségrégation a été maintes fois évoqué celui-ci tire son épingle du jeu, je l’ai trouvé très fort. Il est bien mené, bien pensé et bien écrit. A ce jour, c’est le titre de la rentrée littéraire que j’ai préféré, même si je n’en ai pas encore lu beaucoup… !
Note : 4,5/5
Stellabloggeuse
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« Laisse-moi être ton gardien, Marcus, écoute-moi, ne fais rien qui leur permette de t’envoyer en prison, rien qui convainque un peu plus ta mère que c’est l’armée qu’il te faut. Tu l’entends qui marmonne que c’est là-bas que tu dois aller ? Il ne s’était pas écoulé dix minutes après le départ des flics qu’elle te voyait en soldat, mais il ne faut pas que tu y ailles, il y a trop de guerres qui se préparent, des guerres pour rien, qui ne feront pas de toi un homme mais l’ombre d’un homme. »
« Ma mère prétendait nous protéger, nous inculquer les bonnes manières, prendre soin de nous, mais son silence m’effrayait davantage que les pendus de mon grand-père. Jamais elle ne disait, Amuse-toi bien, mais toujours, Fais attention à toi, elle se mettait à crier pour un rien, pour un verre qui se brise dans la cuisine, pour une veste jetée trop vite en rentrant sur le dos d’une chaise, comme si notre maison pouvait s’effondrer d’un instant à l’autre. Elle nous enseignait la peur, la sienne, qui me contaminait, m’envahissait, le danger s’était installé dans ma tête et ce vide avant moi est devenu peu à peu un trou devant moi. »
Je ne connais pas du tout cette auteure, c'est un plaisir de la découvrir avec cette chronique !
RépondreSupprimerJe n'avais pas retenu ce roman dans ma liste de la rentrée mais ta chronique me donne envie, je le rajoute illico, ainsi que "Les Chagrins", merci pour ces découvertes :)
C'est un roman de la rentrée littéraire 2013, et pas de cette année, mais il est à lire :)
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