[ActesSud, 2013]
Je
viens aujourd’hui vous parler d’un titre de la rentrée littéraire de l’année
dernière. Et oui, même si à l’automne dernier ma copinaute Cajou m’avait donné
très envie de découvrir « Kinderzimmer » de Valentine Goby (qui a reçu le Prix des Libraires 2014), il m’aura
fallu attendre ce mois de septembre pour trouver le temps et l’occasion de le
lire enfin.
Résumé
Aujourd’hui
comme souvent, Suzanne Langlois est invitée dans une classe de lycée pour
raconter son expérience des camps de concentration. Déstabilisée par la
question de l’une des élèves, elle est amenée à s’interroger sur sa manière de
présenter son histoire, leur histoire à toutes. Alors elle redevient Mila,
celle qui est entrée au camp de concentration de Ravensbrück début 1944,
enceinte. Une grossesse dont elle ne sait pas si elle doit la vivre comme une
menace ou comme une chance.
De la
survie à la maternité
On
peut distinguer plusieurs parties dans ce roman. A son arrivée dans le camp de
concentration, c’est l’horreur qui domine, Mila découvre les autres
prisonnières, elle les voit comme un miroir d’elle-même dans l’avenir. Elle n’a
alors plus qu’un objectif, survivre envers et contre tout. Dans ce contexte, sa
grossesse passe complètement au second plan, le bébé n’est alors qu’une menace
qui pèse sur sa vie. Mais peu à peu, le bébé à naître devient une perspective
tangible. Une fois l’enfant né, Mila découvre la Kinderzimmer, ce gigantesque
paradoxe : une pouponnière dans un camp de concentration. Désormais, toute
l’attention de Mila est focalisée sur la survie du bébé, cela devient son
objectif, sa guerre. J’ai préféré cette seconde partie, plus originale et
émouvante.
Dur et
émouvant
Kinderzimmer
est un roman coup de poing qui ne ménage pas son lecteur. Valentine Goby nous
plonge dans l’horreur des camps, on sent qu’elle s’est bien documentée sur le
sujet, qu’elle a recueilli des témoignages. Durant les dernières semaines du
camp, les autorités allemandes sentent la fin approcher, elles essaient de
faire place nette et l’extermination prend des proportions inégalées. Pourtant, ces femmes ne perdent pas l'espoir, sabotent autant que possible ce que les allemands leurs confient, se soutiennent. L’émotion
est présente également, sans déballage, on est toujours sur le fil, en retenue,
car laisser cours à ses émotions dans ce contexte c’est s’effondrer, c’est
mourir.
Les
personnages
Mila
est un personnage fort, son instinct de survie chevillé au corps. Ce n’est pas
une héroïne, elle est entrée dans la Résistance parce que ses proches y étaient
également, elle a fait son devoir, sans passion. Elle n’est pas prête à mourir
pour sa cause. Elle devient une mère malgré elle. Elle n’a aucune idée de ce qu’elle
doit faire, de ce qui se passe dans son corps, sa mère ne lui a rien expliqué.
Mais son lien avec son bébé se tisse malgré tout, elle devient Mère et se bat
de toutes ses forces. On rencontre d’autres personnages au camp : Lisette
la cousine de Mila, Georgette qui lui enseigne son rôle de mère, la douce et
volontaire Teresa qui lui a certainement sauvé la vie…
L’écriture
Le
style du roman est assez particulier, avec de longues phrases hachées,
entrecoupées de mots allemands. Cette écriture assez brute a rebuté quelques
lecteurs, mais pour ma part j’ai trouvé cette plume très juste. Les phrases
sont peu structurées, comme si les idées venaient en vrac, l’une entraînant l’autre,
parfois sans logique apparente. Or, il me semble que cela colle tout à fait au
travail de la mémoire, à cette narratrice qui rassemble ses souvenirs.
En
quelques mots…
Ainsi,
c’est un roman très fort que nous offre Valentine Goby, à la fois dur et
émouvant. Le lecteur est plongé dans la vie quotidienne d’un camp de concentration
féminin, dans toute son horreur. La présence de ces bébés dans les camps est un
bouleversant paradoxe, servi par une plume très juste, sur le fil de l'émotion.
Le lien mère-fils se tisse, à l’intérieur du camp comme pour ceux du dehors, et
devient pour Mila la seule guerre à gagner. L’auteure nous fait partager cette
tranche de vie et met en évidence la difficulté de raconter les camps, de
préserver cette mémoire collective.
Note :
4/5
Stellabloggeuse
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« Pouvoir
te nommer, c’était une joie violente, plus encore que celle de voir ton visage,
plus que celle d’être mère. Nommer quelque chose qui n’appartenait pas au camp.
Prononcer, décider James, le temps de dire James prendre mon corps à mon cou et
franchir les hauts murs. »
« Quand
elle retournera dans cette classe au lycée, Suzanne Langlois dira exactement
cela : il faut des historiens, pour rendre compte des événements ;
des témoins imparfaits, qui déclinent l’expérience singulière ; des
romanciers, pour inventer ce qui a disparu à jamais : l’instant présent. »
En effet, un bouleversant paradoxe que de voir ces bébés au milieu de toutes ces horreurs, ce froid, cette crasse, cette cruauté... et je suis contente de voir que la plume si particulière ait également su te convaincre. En effet, on a l'impression que les infos arrivent ainsi en vrac, à la vitesse de la pensée ou du souvenir et je suis certaine que ce roman n'aurait pas été ce qu'il est sans cette écriture hachée, que certains ont jugé comme médiocre...
RépondreSupprimerDes bisous
Cajou
Tout à fait d'accord avec toi sur ce point, l'écriture créé cette atmosphère, ce poids que l'on sent peser sur sa poitrine, tout est urgent, tout est important... Merci du conseil car je te dois cette lecture ;) Bisous!
SupprimerUn roman que j'ai noté à sa sortie, et toujours pas acheté, mais ton avis me donne envie de le remettre en haut de ma liste à lire.
RépondreSupprimerJe pense qu'il ne devrait plus tarder à sortir en poche, il a été primé. C'est vraiment une lecture qui sort du lot, il en vaut la peine. Merci d'être passée Nanapomme!
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