mercredi 5 octobre 2011

Toute la vie, de Jérôme Bourgine : polyphonie sur la vie, la mort, la science et les jeux vidéos (entre autres)

[Sarbacane, octobre 2011]

Voilà encore un livre très original, un ovni qui paraît aujourd’hui dans la collection eXprim’ des éditions Sarbacane (merci à eux pour cet envoi) : « Toute la vie » de Jérôme Bourgine.

Ce roman tourne autour du cancer de Michel, un jeune garçon de 13 ans. L’auteur nous livre quatre points de vue sur cette maladie : ceux d’Isabelle (la mère en apparence insensible mais terrorisée), de Michel (qui s’accroche à la vie tant qu’il peut), d’Hannah (la sœur de 12 ans fine psychologue et télépathe) et celui de Daniel (leur voisin scientifique qui n’a pas accompli grand chose de sa vie). Les uns après les autres, les personnages s’expriment. Je dois dire que j’apprécie particulièrement ce type de narration à plusieurs voix, et que je m’en suis réjouie d’avance.

Néanmoins, après lecture, j’ai bien du mal à démêler mes sentiments vis à vis de ce livre tant ils sont contradictoires. J’ai finalement décidé de procéder de la façon suivante : des points positifs, les points négatifs, puis le reste des points positifs (comme cela, je reste une gentille fille et je ne laisse pas mes émotions me dominer !).

Tout d’abord, rassurons les anxieux, il n’y a rien de pathétique dans ce livre. Pas d’apitoiement sur le jeune héros, pas de misérabilisme. Il s’agit d’une véritable histoire, qui n’a pas pour vocation de faire pleurer dans les chaumières, oh que non. C’est un livre qui vous « remue » bien plus profondément que cela, sans avoir besoin d’épanchements lacrymaux.

Parlons un peu des personnages. Les deux personnages masculins m’ont beaucoup plu. Daniel, le voisin, est un bon exemple de trentenaire qui n’est pas encore accompli en tant qu’adulte, qui manque de courage pour faire des choix. Jusqu’à ce que la famille de Michel le pousse dans ses retranchements. Quant au jeune Michel, il est très attachant : c’est un garçon qui a besoin d’amour, qui est lucide sur lui-même, et qui trouve des forces insoupçonnée en lui pour rester digne dans la maladie. Il est très crédible.

En revanche, et on en vient aux points négatifs, j’ai eu beaucoup de mal avec les deux personnages féminins. La « vulgarité assumée » (le terme n’est pas exact, mais j’ai du mal à en trouver un qui soit approprié) d’Isabelle tout au long du roman m’a un peu gênée, ainsi que son égocentrisme. De même, le cynisme et la dureté d’Hannah envers Michel me l’ont rendue antipathique. Ma sensibilité (parfois exacerbée je l’admets) m’a donc éloignée de ces deux personnages.

Les dialogues trop travaillés d’Hannah avec les autres personnages, avec d’innombrables jeux de mots, l’ont rendue pour moi trop irréelle, même si on peut apprécier l’exercice de style. De même, l’usage de métaphores autour du sucre tout au long du roman m’a un peu pesé lors de la lecture, je n’y ai pas adhéré.

Ainsi, j’ai été moins touchée par ce livre que je n’aurai pu l’être et je me suis un peu laissée « parasitée » par ce qui m’a dérangée dans le livre. C’est étrange car d’ordinaire, je ne suis pas dérangée par l’irréalité des histoires, je ne parviens pas à m’expliquer pourquoi je suis restée « en dehors ». Et c’est dommage, car c’est un livre qui fait beaucoup réfléchir. L’auteur y développe toute une philosophie de la vie, et une théorie sur ce qu’il se passe après la mort. Il évoque aussi la difficulté d’être parent lorsqu’on ne s’aime pas soi-même, ou les difficultés à s’engager. Enfin, l’histoire est présentée comme une sorte de jeu vidéo, et la scène finale pose la question du sens de ce que nous avons lu jusqu’à présent : une simple partie en réseau ou la vraie vie ?

Aussi, la note moyenne que je vais délivrer à l’issue de cet article ne signifie pas que ce livre est moyen, loin de là, mais qu’il m’a baladée plusieurs heures durant entre admiration et rejet. Quoi qu’il en soit, on sent un grand travail d’écriture derrière ces lignes, et ce roman m’a fait réfléchir. Pour cela, je vous encourage à le lire car il peut vous plaire (il sort aujourd'hui en librairie) :  il est d’ailleurs en coup de cœur sur Otium, très apprécié chez Sophie LJ, et il a ému chez Batifolire. Si vous l’aimez, n’hésitez pas à venir en discuter ici, j’aimerais connaître d’autres ressentis.

Note : 2,5/5 

Stellabloggeuse 
-------- 
« Moi, je dis : la vie normal, elle est vachement sympa, en réalité. C’est con qu’il faille tomber malade pour s’en rendre compte. Papi, le père de Fred, dit tout le temps : Notre santé est notre bien le plus précieux. J’ai toujours pensé : truc de vieux schnok. Plus maintenant. »

14 commentaires:

  1. Je comprends ton point de vue. J'aimerais juste ajouter un élément : pour moi, le portrait de la mère est très réussi. Enfin ! Enfin on voit une mère détestable dans la littérature pour la jeunesse ! Présenter un tel portrait est si tabou que personne n'ose. Notons que l'auteur l'édulcore un chouïa tout de même. Mais pour moi, Isa est tout simplement un personnage fascinant et je félicite l'auteur d'en avoir fait une figure si aboutie. Une mère détestable, cela existe, et pas seulement pour les romans à thème sur le sujet. Ici, l'auteur ne s'appuie pas seulement sur ce trait détestable mais joint la figure de la mère à une réalité construite. Pour moi, c'est très réussi. Pour les autres points que tu présentes, je ne suis pas d'accord mais je respecte ton point de vue. Pour moi, la richesse se trouve dans l'alternance des voix qui crée comme un petit théâtre intime auquel le lecteur est convié. Et puis, quelque part, une dimension de ce roman échappe, surtout au sein des paroles d'Hanna. Loin d'être invraisemblables comme tu les as interprétées, elles sont pour moi source de poésie. Mais tout ceci s'interprète et se vit selon les lectures, au prochain lecteur de se faire son opinion. Merci en tout cas pour ton avis plein de contrastes, qui permet de discuter, et merci pour le lien !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci à toi pour ce commentaire étoffé et ce nouvel éclairage.

      Ce que tu dis sur Isa me la fait voir un peu différemment, je ne l'avais pas vue sous cet angle. Quant à l'alternance des voix, j'ai beaucoup aimé aussi, même si je me suis plus attachée à certains personnages.

      Quant à Hannah, la "poésie" que tu évoques ne m'as pas touchée (alors que dans "Deux jours pour faire des thunes" par exemple, j'avais beaucoup apprécié l'exercice de style), sans que je puisse l'expliquer. Je pense que je suis passée à côté, peut-être à cause de cette métaphore du sucre qui ne m'a pas du tout plu.

      Mais le livre continue de me trotter dans la tête et ça, c'est le signe qu'il a une grande force !

      Merci encore d'être venue donner ton avis ici, tu es toujours la bienvenue :)

      Supprimer
  2. Réponses
    1. Je suis un peu "passée à côté" je crois, mais plusieurs personnes autour de moi ont vraiment beaucoup aimé. Ce qui est sûr, c'est que c'est une lecture forte et originale.

      Supprimer
  3. Dommage que ça ne t'ai pas plus plu que ça. J'ai trouvé qu'Isa était certes tout ce que tu dis mais qu'au final elle dégageait une sensiblité intéressante. Quand à Hannah son don lui donne une sincérité que j'ai bien aimé. Elle ne se voile pas la face et ça m'a plu chez elle.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui, j'ai l'impression d'être un peu passée à côté ! Mais certains côtés d'Hannah comme son dédain pour le besoin d'affection de Michel ne m'ont pas plu, et je l'aurais préférée un peu plus simple/humble. Malgré cela j'ai eu l'impression de lire un bon livre, c'est moi qui suis restée en dehors.

      Supprimer
    2. Peut être que Hannah voulait simplement rendre son frère plus fort en le brusquant un peu (beaucoup?).

      Supprimer
    3. Oui, bien sûr, sinon elle serait juste odieuse gratuitement ;) Plus sérieusement, ce qui m'a manqué, c'est peut-être un peu de doute de sa part, c'est la seule à ne pas se remettre vraiment en question dans le roman (elle le fait un peu par moments, mais pas encore assez à mon goût).

      Supprimer
  4. Me souviens plus de mon 1er commentaire mdr!
    Le thème abordé à l'air intéressant mais je préfère le lire à travers des témoignages plutôt, ce livre ne me tente pas trop...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ha ha, il faut dire que j'ai tardé à te répondre, 3 jours sans Livraddict c'est long ;)

      Je comprends ta réticence, moi ce qui m'a manqué c'est de ne pas arriver à m'impliquer dans l'histoire, je n'ai pas ressenti de réelle émotion tout au long de cette lecture. J'avais plus l'impression d'assister à un exercice de style (assez réussi) qu'à une histoire avec de véritables personnages.

      Supprimer
  5. Pour ma part je vois l'attitude d'Hannah envers Michel comme une protection : elle essaye de se protéger mais aussi et surtout de le protéger. En outre, je trouve que le fait de vouloir accompagner son frère avec cette histoire barrée de jeu vidéo et une très belle preuve d'amour.
    moi je l'ai vraiment aimée, complètement hors norme pour ses 12 ans et complètement hors norme tout court. Elle a cette folie (au sens positif du terme) qui enjolive la vie.
    Quant à l'autre Gravelos :) je l'ai trouvée tellement bien croquée que j'ai succombé! certes elle est vulgaire mais c'est ça qui est bon chez elle.
    Bref, les goûts hein... ;)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Voui, j'ai vu ton billet, et j'aime bien ton interprétation :) J'ai bien aimé la comparaison avec le jeu vidéo, mais je sais pas, l'histoire du "sucre" m'a mise dans de mauvaises dispositions contre Hannah. Ou comment ne pas adhérer à une métaphore peut vous mettre une lecture en l'air^^ J'ai plus de sympathie pour Isabelle au final.

      Le plus dingue c'est que je reproche à ce roman des choses que j'ai aimé dans d'autres. Comme quoi les ressentis, ça tient vraiment à peu de choses. Mais j'assume mon rôle de rabat-joie, chacun son tour !

      Supprimer
    2. Mais tu as bien raison et ce n'est pas être rabat-joie que de ne pas être sensible à certaines choses. Ce qui est drôle c'est que quand j'ai lu ton avis j'étais en pleine lecture et ça m'a fait porter plus d'attention à ces métaphores sucrées alors que je ne les avais pas trop remarquées jusqu'alors. Et finalement je n'ai pas trouvé qu'elles étaient omniprésentes. M'enfin tu as peut-être plus d'attrait pour le salé! ;)

      Supprimer
    3. En bonne savoyarde, le fromage et le saucisson me parlent oui ;) Quand au "rabat-joie"je disais cela en forme de boutade. En tout cas je suis bien contente des échanges que l'on a eu entre ambassadrices autour de ce roman, c'était très intéressant.

      Supprimer

A vous de donner votre avis, il est le bienvenu !