samedi 24 mars 2012

Le passé continu, de Neel Mukherjee : roman d’apprentissage désenchanté entre Calcutta et Londres

[JC Lattès, mars 2012]

Me voici avec un nouveau roman évoquant l’Inde ! En effet, ce n’est pas la première fois que je « croise » ce pays dans un roman cette année. Après le romanesque de « Rani », me voici avec une toute autre vision, bien plus désenchantée. Mais avant d’en venir au fait, je tiens à remercier Livraddict et l’éditeur JC Lattès, grâce auxquels j’ai obtenu ce titre en partenariat.

Résumé

« Le passé continu » est le premier roman de Neel Mukherjee, âgé de 39 ans et vivant à Londres. Il nous présente Ritwik, un jeune indien d’une vingtaine d’année, qui a grandi dans une maison trop petite, peuplée de ses parents et son petit frère, ses oncles dépourvus d’emploi, et sa grand-mère qui se plaît à dresser les membres de la famille les uns contre les autres. L’histoire commence avec la mort de ses parents, à quelques jours d’intervalle. Ritwik choisit alors de s’envoler pour l’Angleterre, et de commencer une nouvelle vie. Mais l’adaptation n’est pas facile, et nous voyons évoluer Ritwik sous nos yeux tout au long de ce roman, dans lequel on nous raconte également quelques-uns de ses souvenirs.

Mon avis

La première chose qui me vient à l’esprit pour vous parler de ce roman, c’est qu’il vous fait réellement voyager, tant géographiquement que culturellement. Le lecteur est confronté à une Inde inconnue, loin des clichés de Bollywood. Pendant les épisodes du roman se déroulant en Inde, on ressent une atmosphère bien particulière. L’auteur évoque les ravages de la mousson, les bruits, les plats, les vêtements, avec une profusion de vocabulaire indien bien expliqué grâce à des notes de traduction.

Mais, dans les souvenirs de Ritwik, on ressent surtout avec une grande violence la menace de la pauvreté ordinaire, qui, selon l’auteur, ne préoccupe pas autant l’Occident que celle de l’Afrique. Cette pauvreté qui pousse les habitants à s’entasser dans de petites maisons, et à faire d’une bonne éducation leur planche de salut. Ils sont prêts à tout dans l’espoir d’une vie meilleure, comme nous le voyons avec la mère de Ritwik, proprement effrayante. Le lecteur n’est pas épargné par ce récit assez dur, mais édifiant. J’ai apprécié cette vision de l’Inde, sans détour.

Par le biais d’un roman rédigé par le narrateur, Neel Mukherjee nous présente l’histoire coloniale de l’Inde, et notamment de la province du Bengale sous la domination anglaise. Il montre notamment quels mécanismes, quel évènement ont fini par creuser un fossé entre hindous et musulmans. J’ai particulièrement aimé ces récits dans le récit, qui constituent au passage mise en abîme plutôt réussie.

Le reste de l’action se situe en Angleterre, et le lecteur voit alors Ritwik se débattre entre ses origines, les personnes qui le voient comme un étranger, sa sexualité, la difficulté de se construire une existence. Il croise d’autres misères que la sienne. Il est difficile pour lui de se faire une place sur cette terre étrangère. Il fait pourtant un petit bout de chemin. J’ai aimé ce personnage assez complexe, pris entre plusieurs aspirations, entre son passé et ses désirs. Ritwik est également d’une naïveté assez attachante. Foncièrement bon, il se pose beaucoup de questions et est souvent étonné par les comportements humains.

Puisque nous parlons des personnages, je peux vous dire que j’ai beaucoup aimé Anne Cameron, une vieille dame dont Ritwik s’occupe en échange d’un toit. Leur relation, parfois drôle, est assez touchante, pleine de sobriété, et j’ai aimé ce personnage oscillant entre une surprenante lucidité et l’égarement de la vieillesse. Elle permet également à l’auteur d’évoquer la solidarité entre générations, si importante en Inde et appliquée en Angleterre par Ritwik.

En ce qui concerne le style d’écriture à proprement parler, il est fluide et agréable. L’auteur alterne une plume romanesque (lors des récits sur l’Inde coloniale) et des phrases plus dure et directes. Son écriture est bien travaillée, mais sans fioritures inutiles.

J’ai trouvé le rythme de ce roman assez lent au départ, mais plus j’avançais dans ma lecture et moins j’arrivais à le laisser de côté. Attachée à Ritwik et entraînée par les évènements, j’ai été emportée, même si ma sensibilité a parfois été malmenée par des scènes violentes et crues.

Mon principal regret, néanmoins, c’est la manière dont se termine le roman. J’ai trouvé cette fin trop brutale, et je n’ai pas compris la réaction de Ritwik. Cette fin abrupte m’a posé problème, je me suis demandé quelle en était la finalité. Avec un peu de recul, je pense que l’auteur a voulu mettre en garde les peuples des pays en développement contre leurs propres divisions, qui les affaiblissent face à l’Occident, qui amoindrit leurs chances de survie. Néanmoins, j’avoue que j’aurais bien aimé une fin plus développée.

Mais si vous vous intéressez à l’Inde, aux différences culturelles, ou simplement à la difficulté de trouver sa place dans la société d’aujourd’hui, je vous invite à lire ce roman, même s’il vaut faudra encaisser la dureté de cette histoire. Ce roman a une force indéniable, j’ai été remuée. Cette chronique est un peu longue, mais je voulais essayer de vous compte du mieux possible des multiples aspects de ce roman (merci d’avoir lu jusqu’au bout !). Merci encore à Livraddict et JC Lattès pour cette découverte.

Note : 3,5/5

Stellabloggeuse 
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Je n’ai pas réussi à choisir entre ces trois citations :

« Le sourire de Robert s’illumine. Il enchaîne des sortes d’exclamations hachées.
-Wahou. Super. Génial. J’aime l’Inde. […] C’est d’un tel exotisme, non ? Avec cette nature encore sauvage. Tout ce trip mystique, un pays qui baigne à ce point dans la spiritualité, c’est fascinant, non ?
Ritwik lui décoche un sourire meurtrier. Il a envie de dire : « T’as raison. En rayon, on a aussi des fakirs nus, des éléphants blancs et des tigres rayés qui courent dans les rues de Dehli », mais il se retient. »

« Ritwik était la cible privilégiée de toutes ces énergies refoulées. La raison en était simple : il était l’aîné, il devait donc être sans défaut pour qu’Aritra puisse suivre son exemple et marcher sur ses pas. […] Il serait sa création, son jardin privé et primé, son fils parfait. Son rempart contre tout ce que la vie avait érigé contre elle. « Je le plierai, le forgerai, le battrai comme le fer sur l’enclume, le modèlerait comme de la cire, de l’argile, il sera une pâte molle entre mes mains, il est à moi, mon amour le bâtira de neuf, je leur montrerai que j’ai gagné, la graine n’exsude son huile que quand on l’écrase, je saurai extraire cette huile de son être pour que sa vie ait de l’éclat, qu’elle ne garde pas l’aspect terne de la graine intacte, et c’est à moi qu’il devra d’être brillant. »

« Mais n’a-t-on pas le droit de tourner le dos au malheur, de suivre un autre chemin que celui qui vous mène à une impasse ? Je voudrai pouvoir prendre un nouveau départ, dans un nouveau lieu, avec des gens nouveaux. Est-ce si inconcevable ? »

10 commentaires:

  1. Ce livre a l'air dense et de par l'intégration en Angletterre, j'ai très envie de le découvrir mais je t'avoue que l'Asie n'est pas un continent que j'affectionne donc je crois que je vais passer mon tour ;)
    Comme toujours ton avis est structuré, naturle, tu as un vrai don pour l'écriture ! Tu devrais te mettre à la rédaction de nouvelles ou pourquoi pas d'un roman :D

    Bon week-end ! Bizoo

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    1. Heureusement que tout ce que je chronique ne te tente pas forcément, tu ne t'en sortirais plus ! ;) Merci encore pour tes compliments tu es adorable. Depuis que je bloggue, je ne trouve plus le temps d'écrire. J'aime bien ça, mais cela n'a jamais rien donné de satisfaisant^^

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    2. C'est pas faux avec mes presque 700 livres
      Si tu te mets à écrire, pense à moi, je lirai avec plaisir xD

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    3. Au jour d'aujourd'hui je n'ai pu terminer que des fanfictions autour de Harry Potter, qui datent d'il y a 3/4 ans, et qui sont en ligne!

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    4. Il m'est arrivé d'en faire une sur la mort de Sirius qui m'avait totalement bouleversée et indignée (je voulais faire un procès à Rowling xD) et puis une plus privée qui parlait des membres d'un forum RPG sur Harry Potter. Elles sont toutes les deux introuvables car le site n'existe plus :(
      En tout cas, je serais ravie de lire les tiennes :D

      Bizooo et bonne semaine, j'attaque le boulot, moi :D

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  2. En effet tu en avais des choses à dire! Je note la référence on ne sait jamais il croisera peut-être ma route ;)

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    1. C'est une lecture assez dérangeante, mais j'ai été emportée. Si jamais tu as des livres dont tu ne veux plus, je peux éventuellement le troquer, car je pense pas le relire.

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    2. c'est une bonne idée ça ! Tu n'as qu'à regardé dans ce que j'ai si il y en a qui t'intéresse et je te dirais si c'est bon :)

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  3. Très bonne chronique! ;)
    Je l'ai lu également dansle cadre de ce partenariat et je suis entièrement d'accord avec toi...
    Bonnes lectures

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    1. Merci :) Il faut que j'aille lire la tienne, je suis curieuse de voir d'autres avis sur ce titre.

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