samedi 22 février 2014

Expo 58, de Jonathan Coe : un roman succulent, entre cosmopolitisme et espionnage

[Gallimard, 2014]

Jonathan Coe n’est malheureusement pas très présent sur ce blog (vous trouvez tout de même un billet sur mon chouchou Bienvenue au club et sur la Vie très privée de Mr Sim). Et pour cause, si j’ai lu quasiment tous ses romans (seul « La pluie avant qu’elle tombe » manque à mon palmarès), la plupart de mes lectures datent de 6 à 10 ans.


Aussi, c’est avec un grand bonheur que je me suis précipitée sur son dernier né, "Expo 58", à la suite d’une rencontre avec l’auteur organisée à Lyon par la Villa Gillet. Une rencontre qui n’a que renforcé mon admiration pour lui, tant il s’est montré sympathique et drôle, proche de ses lecteurs et notamment des français, dont il a l’impression qu’ils comprennent mieux son œuvre que ses compatriotes.

Résumé

En Angleterre, en 1958… Employé depuis une dizaine d’années par le Bureau Central d’Information britannique, Thomas Foley, tout juste trentenaire, mène une petite vie bien tranquille avec femme et enfant, dans un pavillon de banlieue…jusqu’au jour où sa hiérarchie décide de l’envoyer en Belgique à l’occasion de l’Exposition universelle qui va réunir de nombreuses nations en pleine guerre froide. Thomas sera chargé de superviser le pub emblématique de l’identité anglaise, le Britannia. Confronté aux relations internationales, aux espions des diverses nations, à la modernité et à une certaine frénésie de vie, ces quelques mois pourraient bien changer l’existence de Thomas.  

Cosmopolitisme sur fond de guerre froide

C’est un roman extrêmement dépaysant que nous propose ici Jonathan Coe. La couverture façon Technicolor donne le ton. Nous sommes en effet transportés en Belgique et en Angleterre il y a plus de cinquante ans, à une époque où le dentifrice à rayures faisait ses débuts ! L’auteur nous plonge au cœur de l’exposition, nous fait traverser les pavillons des différentes nations en mettant en exergue les relations compliquées qu’elles entretiennent entre elles, tiraillées entre un désir de paix et les impératifs de la guerre froide, tandis que le nucléaire progresse à vitesse grand V. Les espions sont légions, et il flotte sur l’ensemble du roman une petite atmosphère de roman d’espionnage décalé, avec notamment un tandem d’anglais pince sans rire assez irrésistible.

L’introspection d’un homme et de l’Angleterre

Tout au long du roman, Thomas s’interroge sur l’identité anglaise, sur son pays qui refuse de mettre derrière lui ses traditions et qui entretient un certain mépris pour la modernité. Dans ce pays, ceux qui prennent position en faveur du progrès sont regardés de travers. Ainsi, à travers son personnage, l’auteur met une nouvelle fois en évidence, avec humour et tendresse, les paradoxes de son pays. Mais, comme à son habitude, ce roman est aussi l’introspection d’un personnage mis face à lui-même et aux frustrations de son existence, confronté à des choix et prompt à faire les mauvais.

Les personnages

Thomas, le personnage principal du roman, est un jeune père de famille. Il aspire à une vie plus imprévisible, plus tournée vers l’avenir, tandis qu’il se sent piégé par les traites de son pavillon, dans une existence monotone. C’est un grand naïf, et on s’amuse de le voir plonger la tête la première dans les machinations des uns et des autres. On ne peut s’empêcher d’éprouver de la sympathie pour lui. A l’exposition, il se lie avec Tony, un scientifique anglais, Chersky, un journaliste russe, Emily, une actrice américaine, et Anneke une hôtesse belge. J’ai eu beaucoup d’affection pour cette dernière. Enfin j’ai déjà mentionné le tandem d’espions Wayne et Radford, tout juste sortis d’un film de Hitchcock.

A noter, l’auteur s’intéresse au devenir des personnages plusieurs décennies après l’exposition et nous présente leurs enfants. En effet, « Expo 58 » est le premier titre d’un cycle, et nous croiserons sûrement ces personnages dans ses futurs romans.

L’écriture 

J’ai retrouvé avec délices la « patte » de Jonathan Coe. Je constate avec plaisir que l’humour de l’auteur ne passe pas avec les années, il est ici plus présent que jamais. Ce roman se situe davantage dans la comédie que dans la nostalgie. Il parvient à faire voyager son lecteur, j’ai eu l’impression de vivre au cœur de cette foire. Il puise dans les romans d’espionnage et le cinéma pour créer une véritable atmosphère.

En quelques mots…

Ainsi, je suis conquise par le dernier-né de Jonathan Coe qui m’a fait sourire et m’a totalement dépaysée. J’ai vécu un bon moment de lecture, cosmopolite, examiné l’identité anglaise sous un angle inédit et goûté pleinement l’introspection de ce personnage délicieusement naïf. Coe est un grand auteur et je vous conseille plus que jamais à le découvrir si vous ne le connaissez pas, avec ce titre ou, encore mieux, avec « Bienvenue au club ».

Note : 4/5
Stellabloggeuse

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« Ici, pendant les six prochains mois, convergeraient tous les pays dont les relations complexes entre conflits et alliances, dont les histoires riches et inextricablement liées avaient façonné et continuaient de façonner la destinée du genre humain. Et cette folie éblouissante était au cœur du phénomène, gigantesque treillis de sphères interconnectées, impérissables, chacune emblématique de cette minuscule unité mystérieuse que l’homme venait si récemment d’apprendre à fissionner : l’atome. Cette vue seule lui fit battre le cœur. »

« Il aurait pu rester indéfiniment devant cette vitre, à savourer son champagne et contempler les lumières bariolées de cette métropole nouvelle qui défiait l’imagination, si fourmillante, si moderne, étincelante de vie et de promesses. Il avait la sensation de regarder dans l’avenir depuis l’observatoire le plus élevé et le plus dégagé que l’ingéniosité technologique puisse concevoir. Il se sentait le roi de l’univers. »

« Le Britannia était factice : faux pub, projetant une image fausse de l’Angleterre, transporté dans un décor factice où tous les autres pays projetaient de même des images fausses de leur identité nationale. La Belgique joyeuse, tu parles ! Factice ! Tout comme l’Oberbayern ! Il habitait un monde construit sur de purs simulacres. »

4 commentaires:

  1. ne connaissant pas encore la plume de Coe. Pour une premire rencontre, c'est un bon choix ?

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    1. Mmmh, je pense que si on connaît déjà Coe, on apprécie davantage celui-ci, car le plaisir est aussi de retrouver certains traits qui le caractérisent. Pour commencer je te conseillerais soit son dyptique "Bienvenue au club" suivi du "Cercle fermé", soit "Testament à l'anglaise"

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  2. Et bien voilà un avis fort bien écrit qui donne à voir un contenu fort attractif ^^ En un mot, j'ai moi aussi hâte de le lire. Bientôt je lirai aussi ton chouchou!

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    1. Mici, j'espère que tu les apprécieras tous les deux :) J'espère aussi que je ne ferai pas trop attendre "La pluie avant qu'elle tombe", en même temps j'ai envie d'attendre un peu, car après je n'aurais plus aucun Coe à découvrir d'ici la sortie de son prochain roman...!

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