samedi 2 juin 2012

L’Enchanteur, de René Barjavel : la légende arthurienne vue au prisme des passions

[Denoël, 1984]

Si vous vous êtes un peu promenés sur le blog, vous savez à quel point j’affectionne René Barjavel, ou au moins « La nuit des temps ». Ce roman est le seul de l’auteur que j’ai chroniqué sur le blog, car mes lectures sont anciennes et je craindrais de les travestir. Je les chroniquerai sans doute à l’avenir à l’occasion de relectures. Mais ce mois-ci, j’ai découvert un autre de ses titres, « l’Enchanteur », chaudement recommandé par Bazar de la Littérature. Aussi, j’ai profité d’une Lecture Commune sur Livraddict pour le découvrir.

Résumé

Assis sur son pommier, dans la forêt de Brocéliande, l’Enchanteur vient se ressourcer et réfléchir. Merlin souhaite aider les hommes à accomplir la Quête du Graal. Il compte sur les meilleurs d’entre eux, les Chevaliers de la Table Ronde. Arthur, Perceval, Gauvain, Lancelot ou Galaad, tous auront leur chance. Pour réussir, Merlin devra coûte que coûte les garder purs. Une mission difficile qui l’éloigne de Viviane, la seule femme qui n’ait pas eu peur de l’aimer. Elle l’aide du mieux qu’elle peut, dans son Royaume du Lac. De son côté, Merlin est partout, il enchante la vie quotidienne, il intervient dans les vies de tous, il fait des choix. Seront-ils les bons ?

Avis général

Il est difficile d’écrire sur ce roman tant on a l’impression de traverser un rêve en le lisant. Néanmoins, la sensation qui en résulte est clairement positive. Jusqu’à maintenant, je n’avais lu que des ouvrages de science-fiction de l’auteur, j’ai donc été dépaysée en le retrouvant autour de la légende arthurienne.

La trame de l’histoire étant connue, on peut avoir l’impression que ce roman est moins original, la sensation de ne pas retrouver la « patte » de Barjavel. Et pourtant, l’auteur a réussi à imprimer sa marque sur la légende arthurienne, en la présentant au prisme des passions qui anime les personnages

L’interprétation de la légende arthurienne

Barjavel aborde principalement la légende par le biais des passions qui unissent les personnages : celles de Merlin et Viviane, Lancelot et Guenièvre, Perceval et Bénie. Or, si vous connaissez un peu Barjavel, vous savez qu’il n’a pas son pareil pour raconter la passion amoureuse, et le charme fonctionne une fois de plus.

De plus, j’ai adhéré aux diverses trouvailles de l’auteur autour de cette légende : les origines qu’il donne à Merlin, la manière dont les chevaliers se trouvent face au Graal, l’idée d’un Diable attendant désespérément des arrivants en enfer, etc. Néanmoins, je connais mal la légende arthurienne originelle, et j’ai donc du mal à démêler ce qui relève de la légende ou de l’invention de Barjavel. Il en ressort une certaine frustration, il faudra un jour que je me plonge dans les textes du Moyen-Age.

La magie sous toutes ses formes

Sans vouloir faire de jeux de mots, c’est une lecture enchantée : la magie est partout, sous des formes diverses et toujours surprenantes. René Barjavel ne cherche pas à expliquer précisément tous les phénomènes magiques qui émaillent cette histoire : il en ressort une impression de mystère, très agréable.

Les personnages

Ce roman tourne autour du personnage de Merlin, que nous découvrons sous diverses apparences. J’ai eu du mal à m’attacher à lui, car il représente le devoir : il fait ce qu’il croit être le bien, n’hésitant pas pour cela à bouleverser la destinée des hommes, quitte à les mener au péché ou à la mort. Néanmoins, son action est essentielle à la réalisation de la quête, il s’efforce de réaliser un grand projet, au détriment de certains personnages, y compris lui-même puisqu’il se trouve séparé de Viviane. Il émane de lui un grand mystère, nous ne savons au final pas grand-chose de lui et de ses pouvoirs, juste assez pour pouvoir imaginer.

Viviane est touchante par l’amour qu’elle porte à Merlin, qu’elle attend durant des années, mais surtout par son amour maternel à l’égard de Lancelot qu’elle protège envers et contre tout. Les autres personnages féminins sont peu développés, ou antipathiques (comme Morgane).

Du côté des chevaliers, Lancelot est attachant, déboussolé par la force de sa passion. Mais c’est Perceval qui m’a le plus touchée, par son innocence et son désintéressement total. Tous les chevaliers devront lutter entre leurs passions et leur mission pour le Graal, et l’auteur met en évidence leur déchirement.

En quelques mots

Ainsi, René Barjavel présente une adaptation réussie de la légende arthurienne, qui met au centre les passions des chevaliers et leur déchirement entre leurs élans et leur devoir. Il reste fidèle à lui-même dans l’écriture de l’amour physique, de la sensualité, qu’il présente comme un véritable accomplissement de l’être. Mais surtout, il recréé pour nous un monde délicatement enchanté dans lequel le lecteur se plaît à évoluer.

Je vous invite à découvrir les avis de mes camarades de lecture : Vashta nerada (organisatrice)LightjokPimousse4783Myiuki22ChinoukHabitant of StoSyllyPlumisa, Piplo, ...

Note : 3,5/5
Stellabloggeuse
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Ce roman fait partie du challenge :

Challenge ABC 2012 : 16/26
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« Il avait souvent demandé à Dieu de lui expliquer le pourquoi de ce paradoxe dont Viviane et lui-même souffraient tellement : s’Il avait fait l’homme et la femme différents et complémentaires, pourquoi était-ce un péché pour eux de se compléter ? Pourquoi avait-Il établi entre eux une telle attirance, s’ils devaient user de leurs forces à y résister ? Pourquoi un homme ou une femme qui voulait s’élever sur le plan spirituel devaient-ils sacrifier le plan sexuel ? La joie partagée était-elle condamnable ? La souffrance était-elle le comble de la vertu ? Mais si le Diable parle parfois, Dieu se tait, toujours. Il faut trouver les réponses seul. Merlin cherchait. »

« Ici nous ne pouvons que nous taire. Pour décrire l’amour qui s’accomplit, tant de joie éperdue, la timidité d’abord, peut-être l’effroi, le cœur qui veut sauter hors de la poitrine, les mains qui veulent connaître, qui se tendent, qui se posent, qui se brûlent, la découverte, l’émerveillement, les corps qui se joignent peau à peau et s’unissent, la stupeur, l’envol, le bonheur de l’autre, la douce lassitude, la tendresse, la gratitude infinie, et la redécouverte et le nouvel élan, et les frontières de la joie sans cesse reculée, et celles du monde volant en éclat, pour dire la délivrance du cœur que plus rien ne gêne, l’épanouissement de l’esprit qui comprend tout, pour donner même une faible idée de ces moments hors du temps et de toutes contraintes, il faudrait employer d’autres mots que ceux dont dispose le langage ordinaire. Pour parler des joies de l’amour et des lieux du corps qui leur donnent naissance, il n’existe que des mots orduriers ou anatomiques. Ou d’une pauvreté si misérable, qu’ils sont comme une peinture grise sur le soleil. Le plus affreux d’entre eux est le mot « plaisir ». Les amants inventent leur propre vocabulaire, mais il n’a de signification que pour eux. »

10 commentaires:

  1. Bon comme je te disais, j'ai reçu La nuit des temps hier mais fan de la légende arthurienne, je pense me laisser tenter par celui-là ! Concernant la légende originelle, je cherche un peu de partout et c'est pas évident de savoir laquelle est la bonne, il y a eu tellement de versions aux cours des siècles surtout le nôtre :/
    Encore un avis emporté par ta passion, merci :D Bizoo

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    1. Ouaiiiiis, la Nuit des Temps c'est trooooop bien ! Mais celui-ci est très sympa aussi, plein de charme :) Quant au texte, je pense que la version la plus connue c'est celle de Chrétien de Troyes

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    2. Je crains que ça soit indigeste Chrétien de Troyes :/

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    3. Possible, comme beaucoup de textes fondamentaux tels que la Bible^^ A voir !

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  2. Coucou !
    Ton article est très agréable.
    J'ai également été touchée par la naïveté de Perceval même si parfois je dois avouer qu'elle me mettait un peu les nerfs ;) Mais l'auteur ne s'est pas trop éloigné de l'original, car ce personnage était déjà défini comme étant d'une grande naïveté il me semble.
    Ce qui m'a marqué, c'est surtout les sauts dans le temps et ce qui m'a choqué peut être c'est la façon dont l'auteur a incorporez le païen au chrétien ... Ca m'a paru vraiment étrange ...

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    1. Effectivement la légende est présentée sous un jour entièrement chrétien, toute la dimension païenne semble absorbée et digérée.

      Dans la version de Marion Zimmer (les Dames du Lac) il y a au contraire une lutte entre Avalon (représenté par Viviane) et son culte païen et la Quête du Graal qui est chrétienne.

      Ici, il réconcilie en quelque sorte les deux "camps" pour mener sa quête du Graal. Pourquoi pas après tout ? Cela lui a permis de mener sa réflexion sur la pureté, et la difficulté de le rester. Je crois qu'au final, le message c'est que l'amour est souvent plus fort que le devoir ou la raison !

      Merci pour ton commentaire en tout cas :)

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  3. Bon, reste maintenant à lire "Les dames à la licorne"..

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  4. Je garde un très bon souvenir de ce livre :D

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    1. Plus de 2 ans après la lecture (je suis actuellement en train de transférer des chroniques anciennes sur ce blog), j'en garde aussi un souvenir très agréable :)

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