mardi 4 mars 2014

N’entre pas dans mon âme avec tes chaussures, de Paola Pigani : l’âme tsigane entre les murs du camp des Alliers

[Liana Levi, 2013]

Ces dernières semaines, j’ai pris le temps de découvrir l’un des titres de la rentrée littéraire 2013 qui m’avait fait très envie mais que je n’avais pas pu lire sur le moment. Il s’agit d’un premier roman français signé Paola Pigani qui s’intéresse à l’internement des tsiganes durant la Seconde Guerre Mondiale, un pan méconnu de ce conflit.

Résumé 

En France, au printemps 1940, l’avenir est sombre pour les tsiganes, dont les déplacements sont entravés depuis le début de la guerre. La jeune Alba et sa famille continuent tant bien que mal à vivre selon leurs coutumes. Finalement, sur demande des Allemands, Alba et son clan sont conduits dans un camp non loin d’Angoulême. Ils y resteront six ans, libérés seulement en 1946. Six ans prisonniers de murs, s’efforçant tant bien que mal de préserver leur âme, leur liberté d’esprit et de prendre soin les uns des autres. Entre temps, Alba sera devenue femme.

L’âme tsigane

« N’entre pas dans mon âme avec tes chaussures » est une maxime tsigane qui signifie que l’on n’entre pas facilement ni impunément dans l’intimité de ce peuple. Et en effet, c’est avec une grande délicatesse que l’auteure lève le voile sur cette famille tsigane, nous fait entrer dans son intimité et nous fait partager un peu de sa philosophie de vie. Il en ressort un grand désir de liberté, un amour de la nature, et une fierté que l’enfermement et les privations n’auront pas réussi à entamer. Les personnages ont souffert, leurs chants se sont tus, mais ils sont restés droits et n’ont jamais dérogé à leurs valeurs.

Un pan de l’Histoire

Historiquement, ce roman est également intéressant, l'auteure ayant recueilli des témoignages de tsiganes. En effet, je n’avais que très peu entendu parler de l’enfermement de ce peuple avant d’avoir lu ce roman. L’auteure nous montre l’enfermement, les hommes qui partent à la journée pour un dur labeur, les femmes qui restent confinées, la nourriture extrêmement rationnée, les maladies qui emportent les plus faibles. Malgré cela la vie continue, portée par les femmes. La trajectoire personnelle d’Alba, que nous suivons tout au long de ce roman, en est révélatrice. Les tsiganes d’Angoulême ne seront libérés qu’en 1946 et en garderont une grande méfiance vis-à-vis des autorités.

Les personnages

Les personnages de ce roman sont insaisissables mais attachants. J’ai l’impression de ne pas vraiment connaître Alba, même si on passe beaucoup de temps en sa compagnie. Elle symbolise la vie et l’espoir. J’ai été touchée par la relation qu’elle entretient avec sa maman, Maria, qui est aveugle. Son père, Louis, est très digne même s’il est dépassé par les évènements. Enfin, j’ai été émue par le petit René, un enfant qui n’a pas toute sa tête.

L’écriture

L’écriture de Paola Pigani, qui a publié des recueils de poésie, est très délicate, joliment ciselée. J’ai beaucoup apprécié cette expérience de lecture. Elle raconte des évènements sombres avec de belles phrases et beaucoup de pudeur, sans misérabilisme. En équilibriste, elle donne vie sur le papier à cette âme tsigane, un peuple auquel elle n’appartient pourtant pas.

En quelques mots…

Ainsi, ce premier roman de Paola Pigani est un essai réussi. Avec finesse et pudeur, elle nous fait entrer dans ces années sombres vécues par les tsiganes, et un peu dans leur âme également. Le tout étant servi par une belle plume, que je vous conseille de découvrir.

Note : 4/5

Stellabloggeuse

--------

« Mais elle pressent le noir de l’inconnu, le jamais plus du voyage. Elle refuse de marcher dans les ornières de ce convoi trop sage. Elle veut encore sauter, courir, sentir la terre mouvante sous ses pieds et le vent passer entre ses cheveux, entre ses jambes. Elle veut encore grimper aux arbres, crever le silence des crépuscules, chanter aux oreilles de Maria, lui donner à voir la pagaille des oiseaux, la course folle des nuages, les arbres qu’elle étreint avant d’arracher leurs fruits, les œufs sombres et tièdes des cailles sauvages. »

« Une eau sale envahit vite tout l’espace. Aucune gouttière, aucun caniveau. Les aménagements sont si rudimentaires que la moindre intempérie jette de la fange partout. Des flaques apparaissent et s’étendent à vue d’œil jusqu’au bord des baraques. Des hommes vont chercher des planches dans les restes du chantier pour faire des passerelles. Les toits fuient de toute part. L’eau s’insinue à l’intérieur. Les quelques roulottes restées aux abords ressemblent à des cages inutiles vidées de leurs oiseaux. Personne n’a plus le droit d’y vivre. »

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

A vous de donner votre avis, il est le bienvenu !